Les Tattwa Cards
Pardonnez-moi ce retour en arrière que je ne peux pas esquiver.
Si vous vous promenez sur la Toile en quête d'images tantriques du Rajasthan, on vous proposera immanquablement les Tattwa Cards réalisées par le poète britannique, William Butler Yeats (1865-1939). Yeats a été membre de L'Ordre Hermétique de l'Aube Dorée, (The Hermetic Order of the Golden Dawn) une société occulte qui a exercé une énorme influence dans les pays anglo-saxons à la fin du XIXème siècle. Fondé en 1888, cet ordre a été créé à l'initiative de trois francs-maçons : William Wynn Wescott, Samuel Liddell MacGregor Mathers et William Robert Woodman, à partir de mystérieux manuscrits rosicruciens codés.
Tattwa est un mot sanskrit qui signifie Réalité ou Vérité. Fortement influencé par l'hindouisme dans ses œuvres tardives, le poète William Butler Yeats réalisa cette série de cartes au tout début du 20e siècle. Elles étaient destinées à favoriser une expérience visionnaire. La simplicité, l'intensité des formes et des couleurs s'apparentent aux peintures tantriques du Rajasthan.
Hilma af Klint (1862-1944)
pionnière de l'art abstrait
C'est en 1986, lors d'une exposition organisée au Los Angeles County Museum, que sont présentées pour la première fois les œuvres abstraites de Hilma af Klint aux côtés de celles de Kandinsky, Mondrian et Malévitch. 40 ans après sa mort, la peintre suédoise est reconnue comme la pionnière de l'art abstrait, 5 années avant la naissance historique de l'abstraction en 1912. C'est donc en 1907 qu'elle peint une série de peintures monumentales, "Peintures pour le Temple" qui annoncent le Pop Art des années 1960. Elle décide de ne pas montrer ces tableaux et poursuit officiellement une carrière de peintre académique pour gagner sa vie.
Son travail abstrait est largement influencé par son intérêt pour le spiritisme et les sciences occultes. C'est en ces mots qu'elle décrit son cheminement : "Ce dont j'avais besoin, c'était de courage. Et je l'ai trouvé grâce à l'influence du monde spirituel, qui m'a donné des instructions rares et merveilleuses."
L'art abstrait ne se satisfait pas de représenter une impression visuelle, il ouvre une voie nouvelle empreinte de spiritualité. Ainsi, Hilma af Klint joue avec les signes, les couleurs et les formes. Elle rejoint, peut-être à son insu, l'art tantrique du Rajasthan.
Et maintenant ... ?
Des peintres anonymes continuent de perpétuer cette tradition. Des galeries se spécialisent dans cet art éminemment méditatif, des expositions sont organisées. Cela nous invite à réfléchir sur la pertinence de ces manifestations car il s'agit bien d'un dévoiement. Encadrer ces oeuvres, c'est déjà ne pas respecter leur fonction originelle.
De nos jours, l'art minimaliste propose une démarche dont la pertinence méditative est particulièrement inspirante. Je songe en particulier au travail de Gina Cochran et de Julie Wolfe. Ces oeuvres nous invitent à faire une pause, à nous isoler du fracas du monde, à vivre et à penser le silence.
Textes en regard
L'art, par définition "artifice", donc fabrication, création complexe, semble bien souvent épris de ce qui pourrait passer pour son contraire, le simple, le naturel, le non "fabriqué", le spontané. Le discours sur le langage et les formes s'est ainsi développé en fonction d'une tension constante entre un réel désir de confrontation à la complexité du monde, ou une soif de beauté à travers l'ornement du langage, et un idéal de simplicité qui se représenterait comme un en-deçà (par exemple, les diverses formes de primitivisme) ou un au-delà de cette complexité. Le concept de simplexité, notamment, développé par le scientifique Alain Berthoz (La simplexité, Paris, Odile Jacob, 2009), permet de comprendre comment le cerveau et les comportements humains ont toujours eu besoin d'inventer des façons de rendre "simples", accessibles, claires et compréhensibles des réalités particulièrement complexes (par la schématisation, l'image, la symbolisation, etc.).
Fabula, La recherche en littérature, source.
En art (littérature, architecture, sculpture, danse, arts graphiques, musique...) la notion de simplicité est associée à celles de primitivité, de naïveté, de naturel, de stylisation, d'épure, d'abstraction, de minimalisme, de non-art. En littérature, s'invitent dans le débat les questions de rhétorique (qu'est-ce qu'un style simple, et quels sont les buts qu'il recherche ? ), de genres littéraires (la conte, le récit bref, la littérature de jeunesse, la poésie, le roman populaire...), mais aussi d'altérité culturelle ( les cultures orientales et extrêmes orientales, indiennes, africaines, autochtones ont-elles le même rapport à la notion de simplicité que les cultures occidentales ?). L'idéal de simplicité pourra également être pensé, indépendamment des questions de formes, comme le fruit de parcours complexes aboutissant à des choix de vie (sobriété, rusticité, retrait du monde) incarnés par des personnages fictionnels ou par des figures artistiques finalement eux aussi plus complexes qu'ils n'en ont l'air (le "peuple", les "simples", les "innocents", les "idiots"). La simplicité sera ainsi interrogée à travers des formes qui mesurent ces tensions entre la complexité du monde et le désir d'un rapport plus immédiat, plus simple (plus facile?) avec les choses et les êtres.
Présentation d'un séminaire consacré à L'éthique et l'esthétique de la simplicité, jeudi 10 novembre, 2020, Université de Nantes.
Source
Un poème de Franck André Jamme
J'aurai vu.
J'aurai saisi, à force, les trois cercles:
le commun, le propre et celui de l'arcane.
J'aurai su le désir et le vide.
Parfois, trop proche de comprendre,
J'aurai baisé les lèvres de l'abîme.
Quelques chances m'auront sauvé.
Il me faudra beaucoup d'esprit,
à la dernière passe,
pour rire de l'infime chemin parcouru.
Franck André Jamme, Au secret, Éditions Isabelle Sauvage, 2010.
Sites et clin d'œil
Le site de Gina Cochran, c'est ici
Le site de Julie Wolfe, c'est ici
Vous souvenez-vous de l'influence de Ravi Shankar sur la musique des Beatles ?
Love You to
À très bientôt pour de nouvelles aventures et des surprises, je l'espère.