Epurer le réel, © JL+L
Quand j'étais petit…
Septembre sonne la rentrée et je suis retourné à mes crayons. J’ai toujours aimé la tendresse du crayon. Quand j’étais petit, on l’appelait « le crayon à papier » et plus tard, ce fut « le crayon gris ». Je me souviens des dessins maladroits que je logeais entre deux cahiers cornés dans mon cartable encombré. Il m’arrivait aussi de dessiner sur une ardoise. Un dessin me revient en mémoire, un portrait d’Henri IV d’après une gravure qui figurait dans mon livre d’Histoire. C’était très réussi et j’en étais fier. Malheureusement, il s’effaça dans le fatras que contenait le cartable mentionné plus haut. Je me dis que c’est l’effacement qui me le rendit si précieux. Il est temps pour moi de revenir au crayon et de quitter le passé pas si simple que ça.
L’outil
Fait de mine et de bois, c’est l’outil "bipolaire" par
excellence. Il peut être dur, moyennement tendre ou d’une tendresse infinie. Il
se décline en lettres et en chiffres et celui que je préfère, c’est le HB.
C’est la mine à tout faire, la bonne mine en quelque sorte. Il faut savoir
l’apprivoiser.
La lettre H désigne les crayons à mine
dure.
La lettre B désigne les crayons à mine
tendre.
Assis ou debout ?
Dessiner assis, la feuille de papier reposant sur une
table, implique souvent une crispation
du geste, mais c’est bien pratique pour
les travaux minutieux. La minutie, ça me connaît – dans le genre, je suis un
obsessionnel compulsif. J’effleure, je passe et je repasse, tout doucement,
sans faire de bruit afin de ne pas fatiguer le papier. J’explore les
territoires de l’infiniment petit et je m’y perds parfois malgré la loupe que
j’utilise pour seconder mes yeux. Je compte bientôt faire l’acquisition d’une
lampe-loupe afin de libérer mon bras gauche. Lorsqu’on dessine debout, on
libère le geste, on lui donne de l’ampleur et le dessin se fait plus sensible,
plus naturel. Cela permet également d’investir une espace beaucoup plus vaste.
Le format raisin (50 x 65 cm), est pour moi une sorte de cinémascope. Jusqu’à
présent, j’ai préféré des formats plus petits, mais je vais grandir bientôt,
c’est promis.
Le grammage se rapporte à votre plumage…
La qualité du papier est bien sûr essentielle. J’ai
une préférence pour le papier Canson « C » à grain qui se décline en
trois grammages (125, 180 et 224 g/m2). Plus le papier est épais et plus
résistant il sera. Toutefois, il faut rester vigilant car le papier a ses
propres seuils de tolérance. Une mine trop dure appliquée avec trop d’énergie
peut conduire à l’irréparable.
A mi-chemin, © JL+L
Gommer
La gomme, outil indispensable, ne sert pas uniquement
à gommer des imperfections. Elle permet de faire surgir des transparences et de
souligner des zones. Elle doit être maniée avec prudence car elle peut
endommager le papier, surtout lorsqu’il est fin.
Le papier Bristol
Dans le genre support risqué, j’aime la fragile
douceur du papier Bristol. Cela se prête bien à mes dessins obsessionnels
déclinés au crayon ou à l’encre. J’ai une série en route depuis longtemps. Ce
sont des dessins-sculptures que j’appelle des colosses. Ils sont le plus
souvent réalisés à l’encre. Je vous en parlerai plus longuement une autre fois.
Uke, © JL+L
De savants mélanges
Revenons au crayon… J’affectionne les mélanges et
j’aime marier le crayon graphite aux crayons de couleur. Je me plonge alors dans
un monde sinuosités que je creuse à loisir. « Creuser », c’est faire
naître le relief. C’est un travail qui requiert ténacité et patience. C’est
aussi un travail périlleux – on n’est jamais à l’abri d’un passage de trop sur
la surface du papier.
J’expérimente et j’improvise à partir de morceaux de
papiers découpés dont je prolonge la matière ou les formes.
Effroi, © JL+L
Au fil du crayon, © JL+L
Les motifs
Je reproduis rarement le réel.
Je dérape systématiquement dans un monde imaginaire. Souvent, ma main me semble
être autonome. Je dessine des contours qui surgissent presque à mon corps
défendant. J’organise ces formes et j’entreprends ensuite de sculpter le dessin
grâce à des passages successifs. Le dessin émerge doucement, il trouve sa
dynamique au gré de ma fantaisie. Deux écueils sont à éviter : le recours
à des formes stéréotypées et un remplissage excessif. Il faut laisser respirer
le dessin et ne pas s’enfermer dans des représentations figées.
Sculpter les formes, © JL+L
Marottes
Je ne vais pas faire une liste exhaustive de mes
dessinateurs préférés, ce serait beaucoup trop long et pour le moins lassant. Au
débotté, j’aime la folie de Giovanni Battista Piranesi, l’élégance et
l’économie du trait des dessins de Modigliani, de Nicolas de Staël et de Paul
Klee. J’ai un faible particulier pour les dessins des sculpteurs. En ce moment
et depuis longtemps, je dois l’avouer, je me nourris des dessins de Henry Moore
jusqu’à plus soif !
Quant à la caresse du crayon, je laisse votre
imagination vagabonder…
Deux citations en guise de conclusion :
« Evidemment on ne sait jamais ce
qu’on va dessiner... mais quand on commence à le faire, naît une histoire, une
idée... et ça y est. Ensuite l’histoire grandit, comme au théâtre, comme dans
la vie... et le dessin se transforme en d’autres dessins, en un véritable
roman. C’est très distrayant, crois-moi. Moi au moins, je m’amuse énormément,
en inventant des choses et je passe des heures entières, pendant que je
dessine, à voir, à penser à ce que font mes personnages. Dans le fond, c’est
une manière d’écrire les histoires »
« ...dans son mouvement de réalisation,
le dessin revient en deçà des codes de représentation mimétique, vers une
région où l’image ne s’est pas encore stabilisée ».
Philippe Alain Michaux, "Comme le rêve
le dessin ", Comme le rêve le dessin, Paris, Editions du Centre Pompidou /
Editions du Louvre, 2005, p. 19.
« Quand j’exécute mes dessins Variations,
le chemin que fait mon crayon sur la feuille de papier a, en partie, quelque
chose d’analogue au geste de l’homme qui cherchait, à tâtons, son chemin dans
l’obscurité. Je veux dire que ma route n’a rien de prévu : je suis conduit, je
ne conduis pas »
Pablo Picasso, in Roberto Otero, Loin
d’Espagne, rencontres et conversations avec Picasso, Barcelone, Ed. Deposa,
1975, traduit de l’espagnol par Christiane de Montclos.
L'imagination, la sculpture, le dessin, la poésie....
RépondreSupprimerla beauté du geste engendre la gestation de beauté....les traits de HB en couleur sont enchanteurs.
Je suis admiratif de ta verve sur crayons et dessins! bravo pour ton style pédagogique où l'on suit facilement ton texte.
RépondreSupprimerguy
Merci Jacques pour ce cours magistral des outils quelque peu oubliés mais qui m'ont replongé dans ma jeunesse.
RépondreSupprimerNous sortions de la guerre et à l'école primaire avec mon camarade de classe nous remplissions des feuilles entières de dessins de soldats Allemands, Français parfaitement équipés avec leurs armes et même de japonais aux dents de lapins.
Le crayon, la gomme, le papier...une belle histoire professeur !