Les bleus hypnotiques
Ma
première rencontre avec Raymond Santoro eut lieu à la Librairie-Galerie
Rabelais, située rue Défly à Nice, lors d’un vernissage où il exposait son
travail aux côtés de Paul Conte. C’était une exposition de grands formats – les
cortèges de Paul défilaient, accrochés aux cimaises, tandis que les toiles de
Raymond, habillées de bleu et ornées de mystérieux astres colorés, faisaient
danser des personnages qui semblaient s’être échappés de quelque fresque
grecque ou romaine. La somptuosité baroque de la peinture de Paul faisait
vibrer la densité des bleus hypnotiques des tableaux de Raymond.
Je
me suis approché de Raymond et nous avons devisé, comme souvent en pareille
occasion. Il a un bel accent niçois, il m’a parlé de son travail et il m’a
invité à lui rendre visite dans son atelier. Je m’y suis rendu quelques mois
plus tard.
Une subtile rhapsodie
Raymond
s’est préparé à ma visite. Sur la table du salon, il a déposé d’épais cartons à
dessin qui recèlent des trésors. Un à un, je les découvre. Les bleus se
succèdent, l’indigo domine, mais peut-être est-ce du bleu de Prusse ? Le bleu de cobalt rivalise avec l’outremer et
parfois, des gris secrets viennent adoucir cette subtile rhapsodie. Raymond travaille les corps, sa peinture est
un corps-à-corps. Ce sont des rondes, des rencontres, des échanges de regards,
des mains tendues, des gestes esquissés, des corps laiteux à la sensualité
douce et veloutée. L’artiste semble chercher à s’emparer du temps qui passe.
Quête vaine, bien sûr, mais n’est-ce pas ce qu’on appelle la beauté du
geste ? Ces personnages ont parfois des langueurs qui rappellent les
sculptures et les dessins de Henry Moore. Raymond est également sculpteur – il
peint comme on sculpte.
Un univers composite et harmonieux
Les
nymphes voluptueuses et les héros musculeux se promènent dans un univers à
l’architecture monumentale. Ils sortent des murs, ils s’adossent contre des
colonnes ou bien ils courent dangereusement sur quelque pont fragile – les
danseurs sont aussi des funambules. L’artiste se plaît à rompre la symétrie, à
perturber notre sens de l’équilibre. Et puis, il y a ces astres, petits et grands, dont la couleur
éclate sur la toile. Ils ont le regard unique de Polyphème, ils nous
plongent dans un univers surréel, ils
volent la vedette au bleu dominant. J’ai un faible pour cette scène qui
représente un groupe à l’assaut d’un astre orangé – s’agit-il d’un astre déchu
ou d’une représentation métaphorique du rocher de Sisyphe ?
La peinture de
Raymond se mérite, il faut aller au-delà des apparences. Enfin, nichés dans
l’embrasure d’une porte ou accoudés au rebord d’une fenêtre, de petits personnages
colorés contemplent des dames lascives aux formes arrondies. Regard de l’artiste
et regard du spectateur se confondent.
Une peinture musicale
La
peinture de Raymond est à la fois silencieuse et musicale, figée et mobile. Des
musiciens investissent les toiles, font vibrer les cordes tandis que veille une
lune orangée et un petit auditeur-observateur clandestin. Raymond a une passion
pour le jazz et pour la trompette en particulier. On l’imagine très bien au
travail, s’enivrer des improvisations fulgurantes de Miles Davis dans Kind of Blue.
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Travailleur
acharné, Raymond Santoro enchaîne et accumule des scènes au pouvoir évocateur,
il donne à voir et il laisse l’imagination vagabonder, il convoque le silence
et suggère la musique, il saisit un mouvement et le fixe en une attente
émerveillée.
« Pour
les Égyptiens, comme pour d’autres peuples du Proche et du Moyen-Orient, le
bleu est une couleur bénéfique qui éloigne les forces du mal. Il est associé
aux rituels funéraires et à la mort pour protéger le défunt dans l’au-delà.
Souvent le vert joue un rôle voisin et les deux couleurs sont associées.
En
Grèce, le bleu est moins valorisé et plus rare, même si dans l’architecture et
la sculpture, fréquemment polychromes, le bleu sert parfois de couleur de fond
sur laquelle s’inscrivent les figures (ainsi certaines frises du Parthénon).
Les couleurs dominantes sont le rouge, le noir, le jaune et le blanc,
auxquelles il faut ajouter l’or. Plus encore que les Grecs, les Romains voient
dans le bleu une couleur sombre, orientale ou barbare ; ils l’utilisent
avec parcimonie. Pour eux, la couleur de la lumière n’est nullement le bleu mais
le rouge, associé au blanc ou à l’or. »
Michel
Pastoureau, Bleu, Histoire d’une couleur,
collection Points, 2000.
Conférence en ligne au Louvre
Les couleurs du Moyen-Âge par Michel Pastoureau, historien des représentations, cliquez ici
Le site de Raymond Santoro
Rendez vous sur le site de Raymond Santoro en cliquant ici
Texte et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
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