Un peintre populaire
Gustav Klimt est un
peintre « populaire » qui emporte l’adhésion. Il séduit, il fascine,
il recouvre, il découvre. Il est lumineux et mystérieux. Il plaît à l’œil, il
est « accessible ». Affiches, calendriers, mugs, crayons sont en
vente dans les boutiques des musées. L’art de Klimt est à la portée de tous.
Les expositions à la gloire du peintre autrichien rencontrent un succès
considérable, ses œuvres battent régulièrement des records aux enchères, il est
toujours d’actualité. Il parvient à être rare (sa production est limitée et de
nombreuses œuvres ont été détruites), précieux et populaire. L’accessibilité de
Klimt est un leurre car il est le peintre du mystère, un explorateur de nos
désirs. Il célèbre la femme, c’est un voyeur, un voyant, un visionnaire. Il
nous ouvre les yeux et habille ses toiles de mystère.
Un travailleur acharné à la personnalité secrète
Travailleur infatigable, généreux, discret, d’une grande délicatesse. Un
corps de bûcheron, un sourire franc, un grand appétit de vie – impossible de
faire le décompte de ses conquêtes féminines. Un être complexe, secret,
torturé.
"Je sais
peindre et dessiner. C’est ce que je crois et quelques amis disent aussi qu’ils
le croient. Mais je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Seules deux choses sont
certaines. Il n’existe pas d’autoportrait de moi. Je ne m’intéresse pas à ma
propre personne en tant que « sujet de tableau », mais plutôt aux
autres, surtout aux femmes, et encore plus à d’autres motifs. J’ai la
conviction de n’être pas particulièrement intéressant en tant que personne et
de ne présenter aucun trait remarquable. Je suis un peintre qui, jour après
jour, peint du matin au soir – des personnages et des paysages, plus rarement
des portraits."
Une histoire de regards
La peinture est histoire de regard(s) et c’est aussi « une chose
mentale ». Le peintre est un alchimiste du regard. Il transforme le réel
et le convertit en or. Le peintre observe, regarde, engrange. Il voyage du
modèle à la toile et de la toile au modèle. Le passage de l’un à l’autre est
rapide, fugace – le geste se fait mémoire du regard et aussitôt il glisse vers
un ailleurs. Le peintre est voyeur et voyant ; il nous offre sa vision, il
devient visionnaire. Sur la toile les regards se croisent ou bien ils sont pris
d’une rêverie mystérieuse dans une frontalité audacieuse. Le personnage sur la
toile n’est plus le modèle, son regard est habité d’une émotion – c’est une
offrande, un partage. Le regardeur, le spectateur est absorbé. Son regard
épouse celui du personnage du tableau et rejoint celui du peintre. L’échange
est à plusieurs dimensions. Après l’échange, il y a ensuite la mémoire de
l’échange, la trace laissée par cette convergence de regards.
Un art érotique
Danaé, 1907, image empruntée ici
L’art de Klimt est un art érotique. Klimt peint les labyrinthes d’Éros et
fait surgir le monde de Thanatos. Sous des ornements somptueux, il traque le
désir, l’angoisse, la volupté et la mort. Il secoue la bienséance de façade de
la société viennoise à l’instar de Freud. Freud et Klimt s’ignorent, mais ils
ont un ami commun, Arthur Schnitzler, dont les écrits illustrent une même
volonté de sonder les méandres de l’âme humaine.
Un portrait de légende
Le portrait d'Adèle Bloch-Bauer I, 1907, image empruntée ici
Le portrait d’Adèle Bloch-Bauer I (1907), est vraisemblablement le tableau le plus
célèbre de Gustav Klimt. C’est la Mona
Lisa du maître de la Sécession viennoise. Il a fallu trois mois d’un
travail acharné pour accomplir cette œuvre d’exception faite d’or et de
mystère. Ce portrait est un hommage aux mosaïques de la basilique Saint-Vital,
à Ravenne, et notamment à celle représentant l’impératrice Théodora.
Le tableau est une commande de l’industriel Ferdinand Bloch-Bauer qui
avait fait fortune dans le sucre et qui parrainait de nombreux artistes dont
Klimt en particulier. Il existe deux portraits d’Adèle Bloch-Bauer, la version
2 a été achevée en 1912. On a répertorié 129 études pour le premier portrait
d’Adèle qui a, en toute vraisemblance, été le modèle d’autres tableaux de
Klimt.
Maria Altmann, image empruntée ici
Durant la Deuxième Guerre mondiale, les nazis se sont appropriés le
tableau qui s’est trouvé ensuite « hébergé » au musée du Belvédère à
Vienne jusqu’en 2006. Après une longue bataille judiciaire, le tableau, a été
restitué à Maria Altmann, nièce du modèle et du commanditaire. On peut
désormais l’admirer à la Neue Galerie
de New York. Le combat de Maria Altmann a fait l’objet d’un livre, The Lady in Gold, Anne-Marie O’Connor
(2012) et d’un film, Woman in Gold (La femme au tableau), Simon Curtis
(2015) avec Helen Mirren dans le rôle de Maria Altmann.
Affiche du film, image empruntée ici
Une célébration
Le portrait d'Adèle Bloch-Bauer I, 1907, (détail) image empruntée ici
Sa robe-carapace est un travail d’orfèvre constellé d’yeux au maquillage
ouvragé. Ce sont des yeux égyptiens, des oudjats.
Oudjat signifie « œil intact ».
Dans la mythologie égyptienne, il symbolise la vision, la fécondité, la bonne
santé. Il protège des blessures et des maladies. Il figure aussi sur la proue
des navires afin de leur permettre d’éviter les écueils et d’arriver à bon
port.
Le portrait d'Adèle Bloch-Bauer I, 1907, (détail) image empruntée ici
Le vertige du regard
l'Obvis et
l'Obtus, Roland Barthes, Le
Seuil, 1992.
Saul Bass (1920-1996),
lorsqu’il imagine le générique de Vertigo
d’Alfred Hitchcock (1958), travaille la spirale du regard et nous entraîne dans
un voyage vertigineux où sommeillent nos désirs et nos peurs les plus intimes.
Portrait d'Adèle Bloch-Bauer II, 1912, image empruntée ici
Le mystère Klimt
Femme à la fourrure, 1916, image empruntée ici
Yves Kobry cerne avec
justesse le mystère Klimt :
" L'œuvre de Klimt, clinquante et superficielle en apparence, est infiniment plus subtile et complexe qu'il n'y paraît. L'éclat de l'or a fini par obscurcir l'intelligence de l'œuvre, aussi souvent reproduite que peu étudiée, comme si la puissance de l'image anesthésiait l'analyse. Il reste à découvrir Klimt derrière le décor. Un artiste qui défie les classifications trop rigides et les interprétations hâtives. Une œuvre à la fois hédoniste et inquiète, flatteuse et provocatrice, contemporaine et intemporelle, réaliste et abstraite. Une peinture pétrie de références, qui recourt aux emprunts, aux citations, pour mieux les détourner et les juxtaposer dans une configuration entièrement nouvelle. Une peinture composite, allusive, ambiguë, énigmatique même, sous son apparente simplicité, aux antipodes d'une certaine forme univoque et cohérente de la modernité. Voilà sans doute pourquoi il fallut attendre si longtemps avant que la peinture de Klimt ne soit redécouverte, appréciée et comprise."