Tom Phillips
Dame Iris Murdoch, 1984-86
Image empruntée ici
Tom Phillips
Samuel Beckett, 1984
Il s'est lancé dans d'autres projets dont l'ampleur est des plus impressionnante. 20 sites n years est un voyage chronologique entrepris depuis 1973 à partir de 20 photos prises annuellement lors d'une même semaine aux mêmes emplacements situés dans un rayon d'environ 800m autour de son atelier. Ce projet a donné lieu à un film réalisé par Jake Auerbach en 2016.
Au début des années 1980, Tom Phillips a relevé un autre défi de taille, la traduction et l'illustration de 34 chants de l'Enfer de Dante. Selon l'artiste, ces illustrations avaient pour objet de proposer un commentaire visuel de l'œuvre. Le prix Frances Williams Memorial Prize lui a été décerné pour cette réalisation en 1983. Il a ensuite collaboré avec Peter Greenaway dans le cadre d'une adaptation télévisée de son travail sur le poème de Dante. Ils ont remporté le Prix Italia en 1990.
Tom Phillips
L'enfer de Dante
Frontispice
Plus tard, Tom Phillips s'est vu confier de nombreuses commandes : des tapisseries pour son ancien "college" à Oxford, des sculptures pour l'Imperial War Museum, des mosaïques pour le quartier de Peckham où il vit et travaille depuis toujours, des mémoriaux dans Westminster Cathedral et dans Wesminster Abbey.
Insatiable découvreur, passionné d'art africain, il a organisé une exposition qui a eu un retentissement considérable, intitulée, Africa: The Art of a Continent, à la Royal Academy, et au Guggenheim Museum en 1995.
D'ailleurs, en artiste généreux, il s'est impliqué dans de nombreuses fonctions administratives notamment à la National Portrait Gallery. Il intervient à la radio et à la télévision et ses commentaires lui assurent une large audience.
En 2002, il a été promu au grade de Commander of the British Empire. Durant ces années, il a été sollicité pour dispenser des cours à Oxford, là même où tout avait commencé pour lui. L'exceptionnelle qualité de son travail lui a valu d'être invité par l'université de Princeton entre 2005 et 2011.
Ses œuvres sont exposées partout dans le monde. L'Ashmolean Museum à Oxford possède un ensemble important de ses dessins.
Tom Phillips, A Humument
Ulysse
Choix de textes
Tom Phillips, Auto-portrait
La tentative de Phillips est d'essence encyclopédique. De là, les multiples références culturelles des tableaux : citations latines, poètes français, emblèmes à la Poliphile, histoire de la peinture, musique allemande ... À quoi s'ajoutent des commentaires politiques (Le Mur de Berlin, l'apartheid, ...). Mais il faut bien voir que références, citations, bribes de savoir, ne constituent nullement la signification des tableaux, mais seulement leur matériau. De même, le sens d'une encyclopédie n'est pas son contenu, mais son mode de classement et, éventuellement, ce qu'elle laisse filtrer. Si l'image envahit le texte (A Humument), inversement le texte est présent à l'intérieur de l'image, dans ses marges, en introduction et en conclusion au catalogue. Il est donc clair que Phillips n'explique pas son œuvre, mais que celle-ci doit être considérée comme l'ensemble de l'image et de sa glose proliférante.
Bourget, J.-L. (1976). Tom Phillips. Vie des arts, 20(82), 60–93
Le présent essai s'inscrit dans le cadre d'un projet global visant à étudier, dans la moindre de ses inflexions, A Humument, l'œuvre magistrale de l'artiste anglais Tom Phillips. Initié en 1966, ce livre d'artiste procède à une reprise et à un détournement systématique d'un ouvrage oublié et assez largement antérieur, un volumineux roman victorien intitulé A Human Document, publié en 1892 par un certain William H. Mallock.
La réappropriation à laquelle se livre Phillips s'avère singulière à plus d'un titre. Alors que d'autres œuvres obéissant à première vue au même procédé se contentent en substance, de supprimer des mots au sein du texte-source, A Humument s'élabore, d'un bout à l'autre, sur le principe généralisé d'une suppression-adjonction. Du roman victorien originel, Phillips ne conserve bien souvent, page après page, que quelques mots, destinés à former un récit alternatif, une "histoire-sœur", mais l'auteur se livre moins, en la circonstance, à un effacement qu'à un recouvrement du texte-source.Sur chaque page du roman de Mallock, Phillips appose en effet divers éléments iconiques (simples crayonnages, dessins, collages, peinture, fragments photographiques, etc.) plus ou moins épais ou opaques, qui fonctionnent comme caches vis-à-vis du texte traité. Chaque page de A Humument imbrique de la sorte le verbal et le visuel et s'offre ainsi, tout ensemble, comme un fragment poétique et comme un tableautin, en vertu d'une profonde mutation générique (du robuste roman victorien au livre d'artiste contemporain) et d'une hybridation érigée en principe moteur de l'œuvre.
Revue Textimage
Les blessures de Mallock. Reprise, réduction et amputation dans A Humument de Tom Phillips, Livio Belloï et Michel Deville.
(...) Le travail de Phillips correspond (...) à ce que l'historien de l'art (Daniel Arasse) décrit comme l'"opération détaillante), une démarche active par laquelle le (ré) écrivain engage le regard du lecteur dans un processus de déchiffrage hautement paradoxal, en ce qu'il s'avère à la fois analytique (le lecteur cherche des indices) et synthétique (il doit considérer la page comme un tout, indépendamment des pratiques de lecture linéaire conventionnelles, avant d'en détacher les parties). Dans A Humument, cette stratégie particulière de lecture est bien sûr "orchestrée" (les références à la musique abondent dans les poèmes de Phillips) par les "fenêtres" qui attirent immédiatement et inévitablement l'attention du lecteur sur le poème qui émerge de la narration. Cependant, de manière paradoxale, la plupart des lecteurs seront probablement tentés de "relire" les parties effacées du texte-source afin de satisfaire leur curiosité. (...)
La mécanique du détail, Michel Delville.
Bartlebooth, en d'autres termes, décida un jour que sa vie tout entière serait organisée autour d'un projet unique dont la nécessité arbitraire n'aurait d'autre fin qu'elle-même.
Cette idée lui vient alors qu'il avait vingt ans. ce fut d'abord une idée vague, une question qui se posait - que faire ? - une réponse qui s'esquissait : rien. L'argent, le pouvoir, l'art, les femmes, n'intéressaient pas Bartlebooth. Ni la science, ni même le jeu. Tout au plus les cravates et les chevaux ou, si l'on préfère, imprécise et palpitante sous ces illustrations futiles (encore que des milliers de personnes ordonnent efficacement leur vie autour de leurs cravates et un nombre bien plus grand encore autour de leurs chevaux du dimanche), une certaine idée de la perfection.
Elle se développa dans les mois, dans les années qui suivirent (...)
(... ) Pendant dix ans, de 1925 à 1935, Bartlebooth s'initierait à l'art de l'aquarelle.
Pendant vingt ans, de 1935 à 1955, il parcourrait le monde, peignant, à raison d'une aquarelle tous les quinze jours, cinq cents marines de même format (65 x 50, ou raisin) représentant des ports de mer. Chaque fois qu'une de ces marines serait achevée, elle serait envoyée à un artiste spécialisé (Gaspard Winckler) qui la collerait sur une mince plaque de bois et la découperait en un puzzle de sept cent cinquante pièces.
Pendant vingt ans, de 1955 à 1975, Bartlebooth, revenu en France, reconstituerait, dans l'ordre, les puzzles ainsi préparés, à raison, de nouveau, d'un puzzle tous les quinze jours. À mesure que les puzzles seraient réassemblés, les marines seraient "retexturées" de manière à ce qu'on puisse les décoller de leur support, transportées à l'endroit même où - vingt ans auparavant - elles avaient été peintes, et plongées dans une solution détersive d'où ne ressortirait qu'une feuille de papier Whatman, intacte et vierge.
Aucune trace, ainsi, ne resterait de cette opération qui aurait, pendant cinquante ans, entièrement mobilisé son auteur.
Georges Pérec, La vie mode d'emploi, chapitre 26, Hachette, 1978.
Tom Phillips, In The Days that Remain, 2012
Waste not the remains of the day