La peinture est une
poésie qui se voit
et ne s’entend pas,
et ne s’entend pas,
et la poésie est une peinture qui
s’entend
et ne se voit pas.
et ne se voit pas.
Léonard de Vinci
Connaissez-vous Le Cannet, cette charmante petite ville qui
surplombe Cannes ? C’est un lieu magique, à l’écart des paillettes de la
Croisette. Des hauteurs du Cannet, on peut voir la mer s’étirer en couleurs
changeantes et les îles de Lérins laisser leur empreinte au gré des vagues et
des vents.
© Jacques Lefebvre-Linetzky
C’est une ville où il fait bon se promener. On ralentit le
pas, on musarde dans les jardins du Tivoli, on médite devant une plaque posée
par l’AMEJDAM en souvenir des Juifs déportés et puis, au détour du chemin, on
découvre des demeures d’un autre temps et on rêve à rebours. En surplomb de la
rue principale, la ville s’accroche à une colline en un réseau de petites rues
qui mènent à une place où l’on peut s’arrêter pour prendre un verre et même
s’offrir un bon repas tout en admirant le panorama.
J’ai une tendresse particulière pour la rue Saint-Sauveur.
C’est là que "je me suis exposé" pour la toute première fois. L’exposition
s’appelait Déchirures et la
municipalité m’avait accueilli avec générosité dans une coquette galerie au bas
de la rue. C’était en 2005.
Le Cannet aime les peintres et surtout celui qui y a longtemps séjourné, Pierre Bonnard, peintre solaire de l'intime. À quelques pas de la mairie, se trouve le musée consacré à son œuvre. C'est un bâtiment harmonieux qui mêle modernité et respect de l'héritage architectural. Un hôtel "Belle Époque", l'hôtel Saint-Vianney, a été réhabilité et transformé en un lieu de culture. On lui a ajouté une aile contemporaine afin de créer un espace d'accueil, une salle pédagogique et une boutique.
Ce musée est un écrin rassurant où les tableaux se font écho comme s'ils étaient engagés dans quelque conversation secrète et mystérieuse. Les murs intérieurs, repeints aux couleurs de Farrow and Ball, osent des contrastes qui font songer aux orchestrations colorées du musée d'Orsay.
Ce musée est un écrin rassurant où les tableaux se font écho comme s'ils étaient engagés dans quelque conversation secrète et mystérieuse. Les murs intérieurs, repeints aux couleurs de Farrow and Ball, osent des contrastes qui font songer aux orchestrations colorées du musée d'Orsay.
@ Jacques Lefebvre-Linetzky
C’est un musée où l’on se sent bien. Le personnel d’accueil est à l’unisson – souriant, disponible et très professionnel. Il faut visiter ce musée et savourer la musique silencieuse des œuvres exposées.
Le site du musée Bonnard, c'est ici.
Le musée Bonnard invite Pierre Lesieur
© Jacques Lefebvre-Linetzky
Cadrage/décadrage
Archives JL+L 2008
C’est avec une certaine fébrilité que je me suis rendu au musée Bonnard. En 2008, lors d’une exposition au musée Campredon à L’Île-sur-la-Sorgue, j’ai découvert les somptueux tableaux de Pierre Lesieur. La séduction raffinée des couleurs, la grâce éblouissante des compositions, l’art du détail, furent pour moi une révélation. Ce fut un vrai choc esthétique et j’envoyai une lettre à Pierre Lesieur, ne sachant pas si elle parviendrait à bon port. Quelques semaines plus tard, il me répondit, me remercia et m’invita à lui rendre visite à Saint-Rémy-de-Provence. C’est ce que nous fîmes, mon épouse et moi-même, au mois de juillet de la même année. Le vent soufflait, comme souvent dans cette région. Pierre Lesieur portait une éclatante chemise jaune et ses beaux cheveux blancs livraient bataille contre les éléments. Il nous reçut chaleureusement, nous fit visiter sa maison, son jardin. J’avais l’impression de me promener dans ses tableaux. Et puis, bonheur suprême, il nous amena jusqu’à son atelier et je devins son assistant.
Archives JL+L, 2008
Je me souviens de cet instant où il m’a demandé de transporter ses œuvres d’un endroit à un autre. C’étaient des grands formats et il nous les présentait un à un avec une sorte de détachement philosophique. Je craignais de trébucher, de faire un faux mouvement et lui, était serein, confiant. J’ai donc touché « des doigts » les tableaux du maître. C’était sa façon à lui de me remercier et j’en fus très ému.
Archives JL+L, 2008
Un autre moment d’intense émotion fut de voir sa table de travail jonchée de tubes de couleurs, de seaux et de pinceaux. Deux chiffons, un blanc et un jaune, s’y prélassaient. Le chiffon jaune était de la même couleur que sa chemise, d’un jaune tonique, s’agissait-il d’une chemise qui avait fait son temps ? J’aime le chaos de la création, ce beau foutoir d’où va naître la splendeur et la volupté. Cette visite fut une parenthèse féerique dont j’ai gardé en mémoire la fugitive éternité.
Archives JL+L, 2008
Mes coups de foudre
Table châle jaune, Pierre Lesieur, 2003
Collection particulière
© Photographie, Jacques Lefebvre-Linetzky
J’aime ses bibliothèques délicates, ses portes entrebâillées, ses fauteuils généreux et cette silhouette féminine dont la présence douce, presque évanescente investit ses toiles rayonnantes de couleurs chaudes. J’aime ce que l’on voit et ce que l’on devine – l’esquisse d’un objet, la trace d’un bouquet, d’un tableau ou d’un miroir.
Le trait est parfois presque maladroit, comme si l’artiste voulait signifier qu’il peint au-delà du réel. Sa peinture a un goût d’inachevé – on regarde, on rêve et on retient son souffle. Pierre Lesieur ose toutes les couleurs en de savants agencements. Ses jaunes et ses bleus claquent sur la toile, ses rouges et ses roses côtoient des surfaces aux teintes orangées qu’une touche de turquoise vient rehausser, ses ocres et ses bruns s’appuient sur des couleurs violine et font chanter les zones plus claires. C’est une véritable chorégraphie chromatique où le réel s’efface pour se situer dans un ailleurs subtil et vibrant. Certains petits tableaux sont proches de l’abstraction, mais il s’agit toujours d’une abstraction lyrique qui ne dit jamais son nom.
Chaise longue influence pompéienne, Pierre Lesieur, s.d.
Collection particulière
Collection particulière
Photographie Jacques Lefebvre-Linetzky
J’ai une tendresse particulière pour ses variations
pompéiennes. Il fait surgir les couleurs des fresques usées par les ans, il
dessine des failles, il fait naître une matière que l’on devine fragile et
pourtant d’une présence éclatante.
Surtout, ne manquez pas cette exposition si vous êtes dans la
région et si vous n’habitez pas la Côte d’Azur, faites le voyage pour découvrir
ce beau musée.
Éclairages
© Jacques Lefebvre-Linetzky
« Pierre Lesieur, même quand il est là, il est toujours un peu ailleurs. Ce n’est pas qu’il soit inattentif ou distrait. Mais on peut ne pas voir à la surface qu’il est attentif, ce qu’est l’envers de sa « distraction ». Mais s’il a l’air absent, c’est qu’il est présent ailleurs, ici et pas ici, avec nous et très loin.
Il a une façon naturelle de cligner doucement des yeux,
d’inscrire à volonté dans sa prunelle le cadre d’un tableau possible, de noter
au vol l’exclamation orangée d’un kaki posée sur une coupe bleu-rire :
l’absence de Pierre est toujours la présence du peintre. Je suis sûr qu’il rêve
en couleurs, qu’il se réveille en ouvrant sur le plafond les yeux du peintre
qui se réjouit du mouvement de la lumière et des ombres des branches glissant sur
le blanc lisse de la chambre.
Il n’a qu’une pensée en tête, c’est à dire une seule manière
d’être : voir, se désaltérer les yeux de lumière et de couleurs, jouir des
intelligences de la vue, qui déchiffre le monde, le défait, le
recompose. »
« L’esprit des tableaux de Pierre Lesieur emprunte
effectivement à celui de Bonnard mais aussi de Matisse ou de Vuillard. Tout
cela est juste mais sans oublier un détail important : il y ajoute un
véritable sens de l’harmonie, des couleurs et un onirisme qui lui est propre
entretenant avec sa filiation d’adoption un respect teinté d’une chose
incontestable – sa personnalité. N’est-ce pas d’ailleurs Bonnard qui
déclarait : puisque tous les
peintres entreprennent les mêmes difficultés, utilisent les mêmes moyens, c’est
que les différences proviennent de l’intérieur. C’est bien à l’intérieur de lui-même que
Lesieur trouve sa voie, travaillant sur le temps de l’histoire et sur celui
auquel il rêve. Sa peinture a le pouvoir subtil d’entretenir le feu d’une
peinture qui agit. Ses moyens sont simples et éternels : un sujet, des
couleurs, la lumière, une composition au service de l’ensemble sans rien
concéder à son imaginaire et à sa poésie personnelle. »
Intérieur au paravent chinois et fauteuil rouge, s.d.
Collection F. Hauter
Montage, Jacques Lefebvre-Linetzky
« Pour Lesieur, une forme n’existe que dans et par ce qui l’entoure, la cerne, la contourne. (…) D’où l’évidente tension, héritée des arts de l’Orient, entre surface et profondeur, entre des plans apparemment parallèles et qui ne le sont pas, entre des points de vue incompatibles et simultanés, d’où ces continuités disjointes, ces contiguïtés du disparate.
À cet espace plan est essentiel le chevauchement des
formes : tressage ou texture singulière, d’où l’importance des miroirs,
cadres, embrasures de portes ou de fenêtres qui rabattent le premier sur
l’arrière-plan, l’objet sur son reflet et troublent avec jubilation le jeu de
la figure et du fond. »
Pierre Lesieur, Les
ateliers, Patrick Mauriès, Le Promeneur, Éditions Gallimard, 2008.
« Cadres réfléchis dans des miroirs, miroirs et
fenêtres redupliquant les cadres, peintures dans la peinture : comme,
parmi d’autres, Hockney ou Tsarouchis, Lesieur privilégie ces effets de
décrochages et d’abymes, à la fois ludiques et cérébraux, comme s’il fallait
mutiplier les degrés de réalité face à un réel qui par nature se dérobe.
Petites manières d’emporter l’adhésion, traductions visuelles et plastiques du
vertige. »
Le dossier de presse de l’exposition, Intérieurs.
Vous y trouverez des informations concernant l’exposition, des reproductions de tableaux ainsi qu’une fiche biographique. Voir lien ici.
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