Celui qui médite vit dans l'obscurité ; celui qui ne médite pas vit dans l'aveuglement. Nous n'avons que le choix du noir.
Victor Hugo
Black is beautiful
Black is Black, I want my baby back chantait le groupe Los Bravos en 1967 et Claude Nougaro célébrait le sourire éclatant de Louis Armstrong dans Armstrong, je ne suis pas noir. Je suis blanc de peau. Nino Ferrer s'échappait de son image d'amuseur en affirmant qu'il voulait être noir.
En ce temps-là, à la fin des années soixante, le monde découvrait que l'on pouvait être fier d'être noir, fier d'avoir la peau noire. Les noirs relevaient la tête et tendaient le poing lors des Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Angela Davis, faisait trembler la société américaine. Et moi, je me passionnais pour cette Amérique qui me faisait rêver.
Pêle - mêle
Les déclinaisons du noir sont multiples et il y aurait beaucoup à dire sur les chemises, les uniformes, les escadrons, les méchants dans les westerns, les soutanes, les manteaux, les larges chapeaux des religieux qui se balancent d'avant en arrière, les hussards de la république, les gueules noires, le trou noir à l'aube des temps, la peur du noir, les noirceurs de l'âme et le "A" de Rimbaud.
Que dire de la mariée de François Truffaut qui était de noir vêtue, des chats noirs et de la chambre noire où le révélateur fait jaillir la lumière ? Les pensées peuvent être noires ainsi que les messes. Enfin, pour faire bonne mesure, n'oublions pas la peste noire, également appelée la mort noire en anglais. Tout cela est inscrit à l'encre noire de nos souvenirs éteints et sans cesse ravivés.
Des silhouettes noires traversent mes nuits d'insomnie. Edith Piaf vêtue de sa petite robe noire rencontre sur scène Barbara dont l'aigle noir déploie ses ailes. La voix d'Ella Fitzgerald épouse celle de Louis Armstrong ; Sarah Vaughan, d'une élégance sensuelle, susurre Lullaby of Birdland ... Souvenirs enfouis que je ne cesse de convoquer pour faire revivre un ami disparu.
La nuit des temps
La nuit est-elle véritablement noire ? Le noir intense n'est jamais pur. Il abrite nos cauchemars, il nous oppresse au cœur de la nuit, il joue avec les ombres, il se joue de la lumière et des gris, il sculpte nos désirs et nos fantasmes. Et puis, au bout de la nuit, le matin blafard pèse sur les souvenirs évanouis de ces voyages d'une épaisse noirceur.
La nuit des temps est une plongée dans un noir insondable, celui de l'avant, celui qui a précédé la lumière – le noir ne peut se passer de lumière :
Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut.
Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres.
Dieu appela la lumière 'jour', et il appela les ténèbres 'nuit'.
Ainsi, il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut le premier jour.
La Genèse, traduction de Louis Segond.
La nuit des temps nous plonge dans l'art pariétal. Traces laissées sur la roche des cavernes par des morceaux de charbon de bois, gravures au silex, entailles et traces colorées surgissent dans la lumière du temps présent. Le noir est lumière ; le noir fascine ; le noir est l'étoffe de nos rêves.
Des noirs foisonnants
La peinture se met au noir durant la Renaissance italienne. Portraits, autoportraits, clairs-obscurs savamment composés, velours rehaussés de fils d'or. Le noir s'émerveille de sa propre lumière. Il suffit de se laisser emporter par la chorégraphie des ombres et des lumières du Caravage, de céder à la séduction des oeuvres du Titien, pour s'imprégner de la densité de ces noirs aux variations sans cesse recommencées. Traquez les ocres, les rouges et les bleus qui se dissimulent dans la trompeuse matière de la couleur noire.
Le noir vibre aussi bien en Allemagne qu'aux Pays-Bas.
C'est le noir qui nous fait percevoir toute l'acuité du regard de Dürer dans son autoportrait. Étonnante déclaration du peintre fasciné par son image :
" Moi, Albrecht Dürer de Nuremberg, me suis peint à l'âge de vingt-huit ans avec des couleurs éternelles."
Albrecht Dürer (1471-1528), Autoportrait,
Rembrandt (1606/1607), Autoportrait, 1669
huile sur toile, 60,2 x 65,4 cm.
En Angleterre, puis en Amérique, les Puritains porteront des habits noirs pour affirmer leur rejet des fastes attachés à la religion anglicane. Habits noirs et larges chapeaux, grands cols brodés et gants éclatant de blancheur. C'était la tenue des plus aisés. Les Puritains plus modestes étaient plutôt vêtus de brun ou d'indigo.
L'été dernier, j'ai proposé un périple en France à mon épouse. Notre première étape fut Rodez et notre visite au musée Soulages fut bien au-delà des nos attentes. C'est un lieu magique conçu par le cabinet d'architecture Roques & Passelac. Le bâtiment s'étend sur plus de 6000 m2. Situé au cœur du jardin du Foirail, des constructions cubiques occupent l'espace d'ouest en est.
© Jacques Lefebvre-Linetzky, 2023
Le noir ramène au fondement, à l'origine