UTILE À SAVOIR


Ce blog est alimenté par Jacques Lefebvre-Linetzky. Commentaires et retours bienvenus.


vendredi 27 septembre 2024

NAQSH RAJ , L'ART DE L' IMPOSSIBLE RÉPÉTITION


© Naqsh Raj


"Le paradoxe de la répétition n'est-il pas qu'on ne puisse parler de répétition que par la différence ou le changement qu'elle introduit dans l'esprit qui la contemple ?"

Gilles Deleuze


Etait-ce hier ou bien était-ce avant-hier ? La ville était sous l'emprise d'une chaleur débilitante, le bitume chauffait, les façades des immeubles crépitaient sous les assauts d'un soleil ardent, le bleu du ciel était paré d'un gris de loupe et les arbres desséchés piquaient du nez. C'était hier, c'était l'été. 

Je me suis tenu à l'écart des bruits de la ville, assigné à résidence, en fait. Je me suis contenté de "voyages immobiles". Je tourne en rond dans ma tête, mes yeux font les cent pas, je suis à l'écoute du silence, je vais et je viens entre rien et moins que rien. Tout un programme. 

J'avoue passer trop de temps les yeux rivés sur l'écran de mon téléphone "intelligent". Adieu la réduction de mon empreinte carbone, mais c'est quand même mieux que de prendre l'avion ou de faire une croisière... 



© Naqsh Raj

Ma découverte de l'été

C'est à la faveur de ces errances numériques que j'ai découvert l'art de Naqsh Raj. Son nom est en soit une invitation au voyage. Irrésistiblement cela me renvoie à mes lectures d'adolescent et à des films célébrant Les Indes britanniques. Allez savoir pourquoi, je me souviens surtout de l'éclat des yeux bleus de Richard Burton dans La Mousson (The Rains of Ranchipur), Jean Negulesco, 1955. Mais, peut-être, est-ce la voix de l'acteur qui s'est inscrite dans ma mémoire? Dans les années 50, Hollywood, proposait de grosses machines historiques en cinémaScope et en technicolor. La Mousson est plutôt du genre exotique, d'aucuns diraient d'un exotisme de pacotille empreint d'un sentimentalisme un peu trop appuyé. Je m'égare...



© Naqsh Raj

Revenons à Naqsh Raj. Le travail de cette jeune femme me fascine et correspond à mes marottes et autres obsessions graphiques. Elle est née à Quetta, la capitale de la province du Baloutchistan au Pakistan. C'est une région montagneuse et désertique d'environ 500 000 km2, à cheval sur trois pays : l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan. 



© Naqsh Raj

Je n'ai jamais vu le travail de Naqsh Raj "pour de vrai". Je ne l'ai vu que par le truchement d'un écran et c'est forcément inadéquat. Cette première approche nous encourage à plonger dans les détails de l'œuvre pour tenter d'en saisir la matérialité. Nous nous laissons submerger, emporter par des formes, des lignes et des couleurs. 




© Naqsh Raj


© Naqsh Raj



© Naqsh Raj


© Naqsh Raj

D'un clic, nous enregistrons l'image; nous la faisons glisser dans un dossier – les fichiers sont sagement rangés et facilement accessibles. C'est un geste rapide, presque anodin qui, pourtant, indique un désir d'appropriation. 



© Naqsh Raj

Ce que j'aime particulièrement dans le travail de Naqsh Raj, c'est un primitivisme assumé empreint d'une modernité sophistiquée. J'y vois un hommage aux arts des aborigènes d'Australie et un écho aux recherches entreprises par Paul Klee à la suite de son voyage en Tunisie. C'est ce que cela me suggère, mais ce n'est pas forcément l'intention de l'artiste. Comment chacun sait, "la beauté est dans l'œil du regardeur".



© Naqsh Raj

Par ailleurs, et c'est un aspect essentiel, les tableaux de Naqsh Raj sont des partitions musicales. Les bâtonnets sont autant de notes inscrites sur la surface des toiles. Là encore, elle rejoint, peut-être à son corps défendant, les symphonies colorées orchestrées par Paul Klee. 



© Naqsh Raj

Questions/réponses


© Naqsh Raj

Naqsh s'est gentiment prêtée au jeu des questions-réponses dont je vous livre ci-dessous une synthèse. J'ai également emprunté des extraits d'un entretien qu'elle a accordé à Nan Collantine en marge de l'exposition, "Holding Up" en mars 2024.



© Naqsh Raj

Quelle formation avez-vous ?

Je suis diplômée de l'école des Beaux-Arts de l'université du Baloutchistan et l'on m'a décerné une médaille d'or. Ensuite, j'ai obtenu une maîtrise en arts visuels au National College of Arts à Lahore. 

Qu'est-ce que cette formation vous a apporté ?

La formation classique vous apporte un arrière-plan artistique qui structure votre apprentissage. Je n'étais pas particulièrement attirée par l'art conceptuel. Je n'ai eu aucun mal à maîtriser de nouvelles techniques. Une fois mes études terminées, je me suis libérée de cette formation académique. Au début, mon travail était orienté vers un propos socio-politique très cérébral. Mes professeurs m'ont encouragée dans ce sens. 

Quand avez-vous commencé à montrer votre travail ?

J'ai plongé dans le bain à l'âge de 24 ans lorsque je suis arrivée à Lahore. On m'a proposé de participer à une exposition collective à l'Alhamra Art Council. Mon travail a figuré parmi les 10 meilleurs de cette exposition, vraisemblablement en raison de sa portée socio-politique. Je me suis vite rendu compte de l'intérêt très limité de cette orientation. Il m'a fallu quatre ou cinq ans, après mon mariage, pour trouver le langage artistique qui me convenait. J'ai commencé à me faire un nom pendant le confinement et c'est à ce moment que mes ventes ont décollé. En 2022, j'ai suivi mon époux en Grande-Bretagne dans le cadre de sa formation en LLM (Maîtrise en droit). Nous avons passé deux ans en Angleterre. 

C'est durant ce séjour que mon travail a évolué de manière significative. On m'a proposé trois expositions personnelles et quatre expositions collectives. Sachant que je resterais pas longtemps en Angleterre, cela m'a obligée à travailler vite. J'ai vendu à peu près 35 toiles qui sont parties aux quatre coins du monde. Certaines de mes œuvres ont été par la suite achetées par des ambassades situées à Islamabad, la capitale de notre pays. 



© Naqsh Raj

Que pouvez-vous nous dire à propos de la scène artistique au Pakistan ? 

L'art est une profession qui est prise très au sérieux. La scène artistique est très vivante. Il y a un effort délibéré pour rester fidèle aux racines mêmes de notre art ancestral. Les miniatures, en particulier, sont très appréciées. L'art moderne commence à se faire une place de façon encore assez timide. Les moyens de communication modernes ont permis cette évolution. 

Il ne m'a pas été facile de montrer mon travail dans des galeries. Il n'y en pas suffisamment pour accueillir toutes sortes d'artistes. 

Je n'ai pas été particulièrement influencée par l'art traditionnel de mon pays. Cela se situe certainement à un niveau inconscient. Peut-être ai-je été influencée par les travaux de broderie habituellement réservés aux femmes. 

À propos d'influences, quels sont les artistes qui ont eu une influence déterminante sur votre travail ?

J'ai été très influencée et ce, depuis longtemps, par le travail de Kandinsky. Il me faut également mentionner Cy Tombly. Agnes Martin et Paul Klee sont des références essentielles en raison de similitudes visuelles. J'absorbe tout ce que je vois. L'un de mes tableaux préféré est  "La chasse au lion " de Pierre Paul Rubens en raison de la dynamique en oblique de sa composition. Enfin, je suis très admirative du travail de Claude Monet consacré aux nymphéas. Cela inaugure une peinture non-représentative. 

Lorsque j'étais enfant, on m'a encouragée à gribouiller sur les murs. C'est ainsi que je me suis habituée à maîtriser des surfaces qui me paraissaient démesurées. Je ne travaille pas dans le détail, je préfère une approche laborieuse. Le grand format correspond à mon engagement artistique et je préfère les formats carrés. Les surfaces plus petites sont un véritable défi pour moi. (La plupart de tableaux de Nash mesurent plus de 2m par 3m).



© Naqsh Raj

En quoi le recours au pochoir a-t-il été déterminant ? 

C'est l'artiste Nargis Khalid qui avait passé de nombreuses années aux États-Unis pour finalement s'installer au Pakistan, dont les conseils précieux m'ont amenée à me consacrer à cette technique. J'ai commencé par utiliser des couleurs dérivées du brun Van Dyke puis je me suis orientée vers des couleurs plus variées à partir de 2020. Je me suis procurée des pastels à l'huile que j'ai mélangé à des pastels secs. C'est une technique que j'ai découverte lors de mon séjour en Angleterre. Cela a totalement changé ma pratique dans la mesure où ces bâtonnets étaient d'un accès facile. Au Pakistan, les pastels à l'huile ne sont pas disponibles. Je suis donc obligée de les commander aux États-Unis. Cette technique m'a permis de maintenir des contacts avec des galeries situées au Royaume-Uni, en Allemagne et à Dubaï.



© Naqsh Raj


© Naqsh Raj

L'art de la répétition

Au premier abord, la répétition suggère une démarche mécanique, quasiment automatique. On peut y voir une forme d'écriture détachée de tout propos poétique, un travail pictural non représentatif dont le sens échappe à l'analyse. Il n'en est rien, bien sûr. 



© Naqsh Raj

Bibliothèques de couleurs agencées en bâtonnets, grilles vertigineuses, superpositions de matière abondent dans un foisonnement organisé et, malgré tout, mystérieux. La répétition est un art de la contiguïté. Chaque bâtonnet vibre de la couleur du précédent et projette sa propre couleur sur le suivant. Chaque bâtonnet est unique et pourtant il s'inscrit dans un ensemble harmonique. La musicalité des bâtonnets est une suite infinie qui se prolonge d'une toile à l'autre dans une sorte d'éternel retour faussement identique. Parfois l'artiste conçoit des encadrements enchâssés d'où émergent des scories, des éclaboussures accidentelles. Ces accidents donnent vie à l'ensemble; ils sont la trace de l'inachevé. Enfin, ce travail minutieux constitue une matière harmonieuse et séduisante, magique et vertigineuse. Le regardeur plonge dans cette matière dans un va-et-vient constant entre distance et proximité. 



© Naqsh Raj



Textes en regard


© Naqsh Raj

Y-a-t-il une activité humaine qui ne soit pas prise dans la répétition ? Répéter: revenir, redire, recommencer, reprendre. Dire ce que je fais, rapporter, parler, faire ce que je dis. Ressasser, réitérer, ratiociner, ruminer. Essayer, citer, réciter, réclamer. Recréer, raconter, réécrire, réinscrire, rayer. Restituer, refaire, jouer. Rabâcher, répépier, représenter, compter. Renouveler, dire de nouveau, dire à nouveau. comment dire nouveau ? Retirer, retourner, mastiquer, remâcher, retomber. Défaire, rechuter, conter, se souvenir, rappeler. Mâcher, marcher, visser, comprendre. Expliquer, enseigner, répercuter, développer. S'évertuer, tressauter, s'identifier, reproduire. La première fois est toujours déjà perdue. Bégayer, radoter, copier, recopier, décrire. S'entraîner, insister, repasser, réviser. Rebattre, corriger, mimer, imiter. Retrouver, s'habituer, rechercher, demander. S'entêter !

S'entêter, alors que tous les matins du monde sont sans retour. Celui qui doit être au langage, de sa naissance et de sa mort, il ne peut rien rapporter. Retrouver le même est impossible, c'est cet impossible qui cause la répétition. C'est un impossible à répéter qui se répète. C'est parce qu'il est impossible de répéter qu'il est impossible de ne pas répéter. 

Marie-Josée Latour (2010). 1, 2, 3 : la répétition. L'en-je lacanien, 2010/2 n° 15. pp. 21-40. https://doi.org/10.3917/enje.015.0021.



© Naqsh Raj

Ce qui me procure le plus de joie dans la musique, c'est toujours le retour – la petite phrase qui revient, le leitmotiv qui signale, la cadence qui rythme, la reprise du thème. Ce plaisir pas fier, je l'ai dit, s'étend aux chansons les plus mièvres, dont j'espère le refrain, fût-il futile, bijou de pacotille qui miroite, s'efface et revient. Mais ce que la ritournelle donne avec des mots, comme le poème, la musique l'offre sans partage, avec le seul matériau de sons affranchis du sens. 

Quelle est cette joie ? pourquoi est-elle si pleine, si entière ? Par quel pouvoir le rythme, c'est-à-dire l'alternance régulière de séquences répétitives, apporte-t-il un pareil plaisir ? Au plus profond de l'être, une satisfaction grandissante épouse la répétition. Le corps parfois se balance en cadence, tape du pied, claque des doigts; ou bien l'esprit écoute et jouit en silence, immobile, suspendu au retour. 

La régularité musicale, la répétition qui la fonde, qui en est le principe, a quelque chose de rassurant, c'est comme une assise pour une âme en lieu sûr. 

Camille Laurens, Encore et jamais, Gallimard, pp 84 & 85, 2013.



© Naqsh Raj

Et si un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : " Cette vie, telle que tu la vis et l'a vécue, il te faudra le vivre encore une fois et encore d'innombrables fois; elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu'il y a dans ta vie d'indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même. Un éternel sablier de l'existence est sans cesse renversé, et toi avec lui, poussière des poussières!

Friedrich Nietzche, Le Gai Savoir, 1882.



© Naqsh Raj

L'idée d'un éternel retour est contre-intuitive. Car nous expérimentons le temps comme quelque chose qui commence, qui passe – ou trop vite ou trop lentement –, mais qui n'est jamais ne "retourne". Le temps est irréversible et son écoulement différencie les moments, les âges, les époques. Or, le thème de l'éternel retour oppose à la différenciation infinie la répétition infinie; contre l'irréversibilité différentielle du temps subi, il convoque la réversibilité répétitive d'une identité affirmée. 

Étienne Tassin, Du mythe originel au concept philosophique, TDC, L'Éternel retour, n°995.



© Naqsh Raj

La répétition fait pleinement partie de l'acte de création. Pour certains artistes, c'est l'acte de création même. La vie d'un artiste est faite de répétitions: se lever, aller à l'atelier... Ce sont là des tâches répétitives, et c'est d'elles que naissent en fait souvent les œuvres. La répétition est une méthode de concentration tant pour celle ou celui qui crée que pour celle ou celui qui regarde, très loin de l'image du génie isolé et soudain à laquelle nous continuons à croire. Nombre d'artistes se placent au plus près de l'art comme travail. La question du processus au quotidien me semble l'une des plus intéressantes qui soient : elle place l'art au plus près de notre expérience ordinaire, au lieu de le penser comme une chose extravagante et anormale. Sa "petite différence" est peut-être qu'il est particulièrement insistant, alors que nous passons la plupart du temps d'une chose ou d'une tâche à l'autre, sans nous y arrêter. Pendant que je travaillais à la préparation de cette exposition, une découverte est venue conforter mon intuition de l'importance négligée de la répétition comme principe majeur de création. Dans des dépôts d'outils préhistoriques de la grotte Mandrin, dans le sud-est de la France, datant d'il y a plus ou moins 54 000 ans, des chercheurs ont montré que ce qui distinguait ceux élaborés par homo sapiens, c'était moins leur inventivité que leur soumission à un processus de répétition systématique. 

Éric de Chassey, commissaire de l'exposition , La répétition, Centre Pompidou-Metz.




Je tiens à remercier Naqsh Raj pour sa collaboration si enthousiaste. 




Liens utiles : 

Le site de Naqsh. Cliquez ici
Saatchi Art. Cliquez ici

 



dimanche 9 juin 2024

COLLAGES POMPÉIENS





Au-delà du réel


Comme je vous l'avais annoncé lors de mon billet de blog précédent, je continue mes promenades entre ruines et fresques de Pompéi. Cette fois-ci, il s'agira de collages, de morceaux de papiers arrachés, découpés, rafistolés pour donner lieu à des représentations parfois abstraites, parfois minimalistes, parfois décadrées et le plus souvent improbables. 

Je ne sais pas si le réel m'échappe ou si j'échappe au réel. J'ai besoin de me perdre dans les méandres de quelque rêve labyrinthique. Je me lance des défis, j'essaie de ne pas reproduire les mêmes compositions et pourtant j'y reviens inlassablement, à mon corps défendant. 




Hors de ma zone de confort

Lorsque je me sens ligoté, je me rebelle, je me cabre. Alors j'ai recours à une technique différente pour "voir" différemment. J'introduis des éléments insolites, je change de format, j'opte pour de nouvelles couleurs. Tout est bon pour me libérer de mes thèmes et formes obsessionnels. Mais, à la fin des fins, il me faut bien me résoudre à l'évidence, je reste prisonnier des contraintes que je m'impose à moi-même. Et c'est au moment où je fais ce constat que je trouve la liberté. C'est une liberté de solitude et de méditation. Elle repose sur l'improvisation et elle est fréquemment soutenue par la musique de Bach. La surprise est toujours au détour du chemin, l'erreur me guide vers des territoires inconnus, hors de ma zone de confort. Ma main hésite, mon cerveau ne sait plus trop où il est. Soudain, une forme émerge et je sais qu'elle est juste, entre équilibre et déséquilibre.



Parfois, pas trop souvent, heureusement, le cerveau et la main se mélangent les pinceaux. J'ai beau coller, décoller, recoller, découper, rien n'y fait. Alors, pas la peine de tourner autour du pot ; il me faut agir. D'un geste rageur, je déchire le tout et le collage en miettes va rejoindre les papiers épars qui peuplent ma poubelle. C'est un geste de frustration, mais c'est surtout une délivrance. Dans la foulée, je commence un nouveau collage et ce n'est possible que si je ne vois plus le fauteur de troubles. La valse des papiers peut alors reprendre dans le tourbillon de mes interrogations. Sans cesse, je doute, c'est mon unique certitude. Je ne crois pas en l'inspiration. Je préfère travailler en apnée. Cette vision romantique de l'artiste m'agace. 








Se laisser aller à ses envies


Je fonctionne également selon mes envies. Ainsi, lorsque je me suis lancé dans cette aventure pompéenne, le pastel sec s'est imposé à moi. Vous le savez certainement, le pastel sec, ce n'est pas à mettre entre toutes les mains. Ça vole, ça s'incruste et il ne faut pas se rater. Pour ce projet, je n'ai pas pris de risques inutiles, j'ai utilisé le pastel sec pour les fonds. Un nouvel obstacle s'est alors dressé devant moi. Mes mains ne savaient plus sur quel pied danser lorsque le papier refusa d'épouser le pastel. Coller sur du pastel, c'est loin d'être une mince affaire. Bon, j'y suis parvenu – je ne vous dirai pas comment, faut pas exagérer.




Avec tout ça, j'allais oublier de mentionner le velouté du pastel et son l'infinie variété de couleurs. La couleur du pastel conserve son éclat avec le temps. Bon, le temps c'est quand même pas ma priorité, faut rester modeste et réaliste. 

Pour donner davantage de stabilité au pastel, on utilise un fixatif. Cela évite à la poudre de se disperser malencontreusement, mais cela affecte les couleurs qui deviennent légèrement plus sombres. Il y a donc deux écoles, avec fixatif et sans fixatif. Je n'ai pas d'opinion tranchée là-dessus. 

Quant au stockage, je n'ai rien trouvé de mieux que le papier calque où les collages-pastels pourront dormir en toute quiétude dans leur carton à dessin. 


Quelques pastels au gré de ma fantaisie


Je n'aurai pas l'outrecuidance de commenter mon travail. J'ai opté pour un format 30 X 40 cm la plupart du temps et toutes les "œuvres" ont été réalisées entre avril et juin 2024. 








































Théophile Gautier
Un duel à Pompéi, 1856

Pompéi, la ville morte, ne s'éveille pas le matin comme les cités vivantes, et quoiqu'elle ait rejeté à demi le drap de cendre qui la couvrait depuis tant de siècles, même quand la nuit s'efface, elle reste endormie sur sa couche funèbre. (...)

C'est un spectacle étrange de voir à la lueur azurée et rose du matin ce cadavre de ville saisie au milieu de ses plaisirs, de ses travaux et de sa civilisation, et qui n'a pas subi la dissolution lente des ruines ordinaires ; on croit involontairement que les propriétaires de ces maisons conservées dans leurs moindres détails vont sortir de leurs demeures avec leurs habits grecs ou romains ; les chars, dont on aperçoit les ornières sur les dalles, se remettent à rouler ; les buveurs à entrer dans les thermopoles où la marque des tasses est encore empreinte sur le marbre du comptoir. On marche comme dans un rêve au milieu du passé ; on lit en lettres rouges, à l'angle des rues, l'affiche du spectacle du  jour ! seulement le jour est passé depuis plus de dix-siècles. 

Pompéi, une anthologie composée et présentée par Claude Aziza, Pocket, 1995.





Turner, le sublime héritage

À très bientôt, et surtout ne manquez pas l'exposition Turner, le sublime héritage,  au Forum Grimaldi de Monaco du 6 juillet au 1er septembre 2024.  

Exposition à découvrir en cliquant ici.
























dimanche 5 mai 2024

MA PASSION POMPÉI

 

En effet, rien ne meurt, tout existe toujours, nulle force ne peut anéantir ce qui fut une fois. Toute action, toute parole, toute forme, toute pensée tombe dans l'océan universel des choses, y produit des cercles qui vont s'élargissant jusqu'aux confins de l'éternité. La figuration matérielle ne disparaît que pour les regards vulgaires et les spectres qui s'en détachent jusqu'aux confins de l'éternité. 

Théophile Gautier, Arria Marcella, Souvenir de Pompéi, présentation et notes de Bernard Auzanneau, Paris, Librairie générale française, 1994. 







Vous connaissez ce visage, vous l'avez vu maintes fois sur la page de couverture de divers magazines relatant la catastrophe de Pompéi ou pour illustrer la splendeur des fresques retrouvées au fil des ans.
Le regard de cette jeune femme nous captive et nous interroge au-delà des siècles. 
Nous plongeons dans ses pensées tandis qu'elle s'apprête à inscrire un mot, une phrase à l'aide de son stylet. Le geste est arrêté, suspendu pour l'éternité. 
Au XIXe siècle, les chercheurs et autres savants y voyaient une représentation de la poétesse grecque Sappho de Lesbos. De nos jours, les historiens s'accordent à penser qu'il s'agit d'une jeune femme éduquée appartenant aux classes privilégiées. C'est une belle inconnue et c'est mieux ainsi. Le mystère lui sied, et nous ravit.
Ce portrait a été découvert en 1760. Il a été détaché d'une fresque beaucoup plus grande pour être ensuite conservé au musée archéologique national de Naples. 

Une ville, une légende


Lucas Cranach l'Ancien, Hercule et les bœufs de Géryon,1537
 image empruntée ici


Au commencement, c'est la figure d'Hercule (Héraclès) qu'il convient de convoquer. Son dixième taf consistait à se défaire de Géryon et de s'approprier son troupeau de bœufs. Ce n'était pas une mince affaire. Géryon n'était pas gâté; il avait trois têtes, six mains, trois corps réunis à la taille et sa force était légendaire. Il possédait un troupeau de bœufs rouges gardés par un molosse à deux têtes, Orthros et un dragon à sept gueules. Rien que ça. 
Dire qu'Hercule n'en fit qu'une bouchée est sûrement exagéré, mais il triompha de ce trio maléfique grâce à ses muscles et à son intelligence. Rentré à Rome, il se reposa et partit pour la baie de Naples. Et là, il se défit des Géants qui s'étaient rebellés contre les dieux de l'Olympe. Pas malins, les Géants. 
Quant à Hercule, il fonda deux cités. Quelque peu vaniteux, il nomma la première, Herculanum et, à la seconde, il donna le nom de la procession célébrant sa victoire sur le vilain Géryon, à savoir, Pompéi du grec pompe (latin, pompa).

Une autre étymologie est parfois proposée. Pompéi viendrait d'un terme oscan (proche du latin) signifiant cinq. Ainsi,  Pompéi serait née de l'union de cinq villages différents. 

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je préfère la première version, plus glorieuse et digne de Steve Reeves, le non moins légendaire culturiste qui incarna Hercule dans les années 50 et 60. 


La catastrophe


Pompéi. Cité immortelle, Musée de la civilisation, image empruntée ici

Pendant longtemps la date de la catastrophe a été fixée au 24 août 79. De récentes études entreprises par l'archéologue Grete Stefani privilégient la date du 24 octobre 79 en raison d'indices concordants : découverte de vin fraîchement pressé, vases de fermentation du vin scellés, fruits d'été séchés,  vêtements chauds portés par les victimes. Cette date a été confirmée  par la découverte d'une inscription figurant sur le mur d'une maison mise au jour en 2018. En effet, au bas d'un graffiti au fusain, figure une date qui correspond au seizième jour avant les calendes de novembre, soit le 17 octobre 79. De toute évidence, l'éruption n'a pas eu lieu en août. 



Le Monde, 16 octobre 2018, image empruntée ici

L'éruption du Vésuve a englouti Pompéi sous 7 mètres de cendres volcaniques, et le port d'Herculanum, sous 16 mètres de lave, et d'autres localités proches ont été affectées. En fait, il n'y a pas eu de destructions massives. Les toits se sont effondrés sous le poids des cendres, mais les murs ont résisté. La ville de Pompéi a été rayée de la carte en raison d'une accumulation de cendres brûlantes irrespirables, qui ont tué les habitants et les animaux, mais qui ont épargné les maisons et les monuments. Herculanum a été envahie par une coulée pyroclastique qui, en se solidifiant, a préservé intacts de nombreux meubles et autres accessoires domestiques. 

La catastrophe est rapportée par plusieurs sources, notamment grâce à deux lettres de Pline le Jeune à Tacite, écrites 25 ans après l'éruption du Vésuve. C'est lors de ces événements tragiques que Pline l'Ancien, trouva la mort. 

Pline l'Ancien (23-79), image empruntée ici



Tout s'est passé à la vitesse de l'éclair. En l'espace d'une heure, Pompéi est recouverte d'un énorme nuage de cendres dont la forme ressemblait à celle d'un pin parasol. Puis, ces cendres se transforment en nuées ardentes qui fondent sur la ville meurtrie. Quelques heures plus tard, une coulée de lave dévale sur Pompéi. 
En seulement 24 heures, l'éruption fait des milliers de victimes. Environ 1400 corps ont été décomptés sur une population estimée entre 10 000 et 15 000 habitants. Il est probable que nombreux sont ceux qui ont eu le temps de fuir. Toutefois, un nombre important de corps a été découvert à l'extérieur de la ville. Il s'agit vraisemblablement d'habitants qui ont fui au matin du deuxième jour et qui ont été emportés par les nuées ardentes. 

Les fouilles


Édouard Sain, Fouilles à Pompéi, 1865
Image empruntée ici


Au lendemain de la catastrophe, l'empereur Titus envoya une commission chargée de venir en aide aux survivants et de reconstruire la ville de Stabies. On récupéra sous les cendres des statues et autres objets de culte. Quelques survivants cherchèrent leurs proches. Finalement la ville fut nivelée et la ville de Pompéi fut oubliée.  
Il faudra attendre 1584 pour que l'on découvre les lieux grâce aux excavations entreprises par Domenico Fontana. 
Et ensuite, plus rien pendant plus d'un siècle. 

En 1738, Le roi de Naples engagea des fouilles à Herculanum et rassembla une impressionnante collection d'antiquités. La ville de Stabies fut découverte en 1749 et les objets s'accumulèrent au Palais de Portici.
À partir de 1754, les fouilles devinrent régulières et on exhuma des objets précieux. Rien de scientifique dans ces fouilles qui relevaient plutôt de l'appât du gain sans se soucier de la richesse historique des lieux. 
De 1808 à 1815, Joachim Murat, roi de Naples, et la reine Caroline, sœur de Napoléon, firent dégager la muraille limitant la ville, constituant ainsi une première géographie des lieux. 
Durant l'époque romantique, Pompéi fut  intégrée au "Grand Tour" et de nombreux artistes et gens de lettres se passionnèrent pour la ville ensevelie. 


Guiseppe Fiorelli, 1823-1896,  image empruntée ici

L'archéologie moderne vit le jour en 1860 grâce au travaux de Guiseppe Fiorelli qui tint un journal de fouilles détaillé et dressa un plan de la ville qu'il divisa en régions et en îlots. Il fut également à l'initiative de la technique du moulage qui permit de redonner forme et volume aux victimes à partir des empreintes laissées par leur corps sur la cendre durcie. 

Au fil des ans se succédèrent des découvertes exceptionnelles, notamment celle de la villa des Mystères entre 1893 et 1901. 
De 1924 à 1961, la direction des fouilles fut confiée à Amedeo Maiuru qui instaura une politique de conservation méticuleuse destinée à constituer un patrimoine accessible à tous. 
Ainsi, les chercheurs et les archéologues se confrontèrent à un double défi : mettre au jour des édifices et veiller à leur conservation. 

Depuis 1997, Pompéi est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco. À la suite de pluies torrentielles en 2010, plusieurs vestiges s'effondrèrent, notamment la Maison des gladiateurs et la Maison du moraliste. L'année suivante, l'Unesco et l'Italie s'engagèrent à collaborer dans le but de restaurer les sites archéologiques de Pompéi, Herculanum et Torre Annunziata.

En mars 2012, fut lancé le "Grand Projet Pompéi" estimé à 105 millions d'euros dont 41, 8 millions venant de l'Union européenne. Ce projet avait pour objectif de restaurer des maisons endommagées et à créer un système de drainage destiné à protéger les ruines des effets néfastes de l'humidité. Ce grand projet permit de mettre au jour de nouveaux vestiges, des objets du quotidien et de magnifiques fresques.  
La découverte de Pompéi est une entreprise jamais achevée, toujours en devenir malgré les aléas, les conflits, les pillages et, parfois, l'ignorance. 

La colère du volcan


Robert S. Duncanson, Le Vésuve et Pompéi, 1870
Image empruntée ici




Jacob More, L'éruption du Vésuve, 1780
Image empruntée ici


Le volcan régnait sur la cité. Il sommeillait tel un dieu repu et soudain, il se réveilla. Cela lui arrivait de temps en temps ; la dernière fois, c'était en 62 après Jésus-Christ et la ville en portait encore les stigmates. 

La colère du volcan n'est pas véritablement soudaine. Il grogne, il fait trembler la terre et soudain, il explose et c'est la catastrophe. La pensée de la catastrophe vient d'une conception très ancienne. Dans le théâtre grec, elle est la dernière des cinq parties de la tragédie. Elle signifie à la fois un bouleversement et un dénouement, une apothéose finale. Elle induit crainte et fascination. Et puis le volcan rejoint les bras de Morphée pour quelques années ou pour des siècles. Les habitants alentour le vénèrent car il rend la terre fertile. Le dieu volcan a plus d'un tour dans son sac.

Le volcan appartient au monde des mythes. Il contient dans sa fureur, la force explosive des quatre éléments. Le volcan puise ses forces dans les entrailles de la terre ; il crache le feu en direction du ciel ; il s'écoule en un fleuve de lave ; il provoque des tremblements de terre ; il donne naissance aux raz de marée qui submergent les villes côtières. 

La catastrophe de Pompéi vue par les peintres
(Fin du 18e et première moitié du 19e siècle)



Hubert Robert, Ruines d'un bain romain avec lavandières, 1766, image empruntée ici 

C'est à la fin du XVIIIe siècle que les peintres et graveurs s'emparent du sujet. Les fouilles entreprises, l'intérêt pour la poétique des ruines, notamment représentée par la peinture d'Hubert Robert (1733-1808), la mode du Grand Tour, font de Pompéi un site privilégié pour les artistes. 

Il y a donc tout d'abord des tableaux qui "revisitent" la catastrophe de 79. Ce sont des œuvres grandioses qui sont le reflet de l'imaginaire de l'époque. Elles ne sont pas et ne peuvent pas être réalistes. La réalité du fait n'est pas accessible, c'est une transfiguration. Au premier plan, on remarque souvent la présence de Pline l'Ancien dont la mort ajoute au tragique de la représentation. 


Pierre-Henri de Valenciennes, Éruption du Vésuve arrivée le 24 août de l'an 79, 1813.
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Pierre-Henri de Valenciennes assista à l'éruption du Vésuve de 1779. Il s'en inspira pour recréer la catastrophe de 79. On note la présence de Pline l'Ancien agonisant sur la plage des Stabies. Le volcan, en arrière-plan, crache le feu et provoque une tempête de nuages apocalyptique. La terre est secouée et un temple s'effondre. C'est un commentaire sur l'impuissance de l'homme face à la furie des éléments. L'artiste cherche à représenter l'inexprimable; il ne s'agit pas de peindre la beauté d'un paysage, mais plutôt d'appréhender la notion de sublime faite de crainte et de fascination. 



Karl Briouloff, Le dernier jour de Pompéi, 1833
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Le tableau le plus emblématique est celui de Karl Briouloff, Le dernier jour de Pompéi au dimensions monumentales, 456,5 x 651 cm. 

Karl Briouloff, peintre russe, visite Pompéi en 1827. Il exécute des croquis où il met en scène l'éruption du Vésuve. C'est à l'occasion de ce voyage qu'il décide de peindre une grande toile consacrée à la destruction de Pompéi. Le commanditaire sera le prince Anatole Demidoff. Il faudra six années à Karl Briouloff pour mener à bien le projet. Le tableau est organisé autour de deux pôles. D'une part, en arrière plan, le Vésuve,  représenté par une masse noire crachant un ciel de feu et, d'autre part, au premier plan, une foule d'habitants qui fuient la cité sous une pluie de ponces, les mains encombrées de trésors. Une famille avec deux petits enfants tente d'échapper à la colère du volcan. Une femme est morte en tombant d'un char et l'enfant qui l'accompagnait a survécu ; il embrasse sa mère, empli de désespoir. La mise en scène rappelle celle du Radeau de la Méduse de Géricault. 
Le tableau n'a pas été apprécié par l'aristocratie en raison de la présence de nobles qui fuient les mains pleines. En revanche, le tableau a rencontré un grand succès public. 

Le XIXe siècle est par ailleurs un siècle d'intenses activités volcaniques qui ont nourri l'imaginaire des artistes. Ce sont des représentations qui illustrent des éruptions de l'époque ; elles font écho à celles de 79 à Pompéi. Ces peintures sont de facture classique, théâtralisées et agrémentées de spectaculaires clairs-obscurs ; elles inspireront plus tard les réalisateurs de Péplums. 



Pierre-Jacques Volaire, L'éruption du Vésuve, 14 mai 1771, Image empruntée ici


Pierre-Jacques Volaire s'est installé à Naples en 1776. Il se spécialise dans la représentation du Vésuve en éruption. Naples est alors une étape incontournable du Grand Tour. Les Anglais, les Français, les Allemands et les Russes constituent l'essentiel de la clientèle du peintre. Il peint le volcan sous tous les angles en variant les formats, ce qui constitue une sorte de reportage avant la lettre. L'éruption est un spectacle que le "regardeur" partage avec de minuscules silhouettes qui soulignent la présence à la fois fascinante et redoutable du monstre de feu. 


Pietro Fabris, l'éruption du Vésuve en 1776, Image empruntée ici

Pietro Fabris était un peintre anglais d'origine italienne. Il a marqué la peinture de son temps par sa maîtrise de la gouache. Il s'est établi à Naples où il s'est constitué une clientèle qui appréciait ses paysages et autres tableaux de genre. Il était le peintre préféré de Sir William Hamilton, consul britannique à Naples et passionné de géologie. Sir William a proposé à Pietro Fabris de l'accompagner dans ses voyages d'étude des volcans afin d'illustrer un livre sur la zone volcanique autour du Vésuve. 
La vigueur du travail de Fabris est saisissante et d'une originalité intemporelle. 


Joseph Mallord William Turner, l'Éruption du Vésuve, 1817
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Turner s'est rendu à Naples et a fait l'ascension du Vésuve en 1819. Toutefois, il n'a jamais été témoin d'une éruption et cette aquarelle a été réalisée bien avant son voyage à Naples. Cette œuvre est de toute évidence dans la continuité de ses recherches sur la notion de sublime. Toutefois, cela souligne également son intérêt pour les avancées scientifiques de son époque dans le domaine de la géologie. La luminosité de cette aquarelle que vient renforcer le mouvement en spirale d'un ciel embrasé sont la marque d'une approche esthétique reconnaissable entre toutes. Cette aquarelle est à rapprocher de l'huile qu'il réalisa en 1815 à la suite de l'éruption du volcan de la Soufrière en 1812. 



Joseph Mallord William Turner, L'éruption du Volcan de la Soufrière
 sur l'île Saint-Vincent, le 30 avril 1812, 1815.
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Mes indispensables

Les deux lettres écrites par Pline le Jeune à Tacite constituent des textes fondateurs. L'extrait ci-dessous rend compte  d'une vision d'apocalypse. 

Quelques temps plus tard, le nuage s'abattit sur la terre, recouvrit la mer : l'île de Capri, complètement prise, n'était plus visible ; le cap Misène disparut à son tour (...) la cendre n'est pas encore très dense. Je regarde derrière moi : un épais brouillard arrive sur nous, courant au ras du sol comme un torrent. Je dis : "Mettons-nous sur le côté pendant qu'on y voit encore pour éviter que la foule qui nous suit nous écrase dans le noir si nous restons sur la route."
À peine étions-nous assis que nous nous trouvions dans une obscurité totale, pire que par une nuit sans lune ou par temps couvert ; il faisait aussi noir que dans une pièce sans fenêtres, lumière éteinte. On entendait le hurlement des femmes, les pleurs des petits enfants, les cris des hommes. On s'appelait, on essayait de reconnaître un parent, un enfant, un conjoint d'après sa voix. Les uns se lamentaient sur leur sort, les autres sur le sort des leurs. Certains appelaient la mort qu'ils redoutaient. Beaucoup suppliaient les dieux, mais la plupart disaient que les dieux n'existaient plus et que la nuit qui s'abattait sur le monde était la dernière et serait éternelle. 

Pline le Jeune, Lettre XX, à Tacite.



Les éditions Taschen ont eu l'excellente idée de proposer à nouveau l'ouvrage essentiel des frères Fausto et Felice Niccolini, Maisons et Monuments de Pompéi, initialement à la vente en 2022.
Cette somme a été publiée entre 1854 et 1895 à Naples. Les deux frères (chercheurs et archéologues) ont collaboré étroitement avec Guiseppe Forelli. Ils ont eu recours à récente découverte de la lithographie en couleur (1837). 
Ils ont fait l'inventaire minutieux des bâtiments, des fresques, des statues, des objets du quotidien afin de redonner vie à cette cité au destin si fascinant. 
C'est un ouvrage riche de 400 pages, une éblouissante célébration de la ville dévastée par l'éruption du Vésuve. On y découvre des vues des ruines, des cartes, des plans et de magnifiques représentations des villas et des fresques. Les objets sont également restitués avec une finesse où se mêlent réalisme et poésie. 
Également stupéfiantes sont les restitutions de scènes imaginées par les frères Niccolini. Les personnages émergent du passé dans un décor aux couleurs somptueuses. Ce sont des images dignes des expositions immersives que l'on peut admirer de nos jours. 



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Il s'agit ici d'un ouvrage de référence essentiel. Voici un extrait de l'avant-propos de l'auteur : 

Dix années passées à fouiller et à étudier en divers points de la ville de Pompéi m'ont convaincu de la nécessité d'écrire un récit sur l'histoire de la cité qui permette de rassembler les innombrables fragments d'informations et les multiples observations récoltées. À force de tirer des vestiges du sous-sol, à force de scruter les maçonneries, d'emprunter les rues, de circuler dans les maisons et les tombes, il devenait urgent de voir quelle trame historique ces multiples fragments permettaient de restituer. (...) Ce livre n'est pas seulement une histoire de Pompéi ; le lecteur y trouvera les discussions les plus récentes sur la naissance de la ville, son évolution, son organisation politique et religieuse jusqu'à sa disparition en 79 après J.-C. On le voit, l'angle privilégié n'est pas celui d'une énième vie quotidienne chimérique, mais celui d'une histoire de la cité sur la longue durée qui prend naissance dans les brumes de la mythologie méditerranéenne et de l'archéologie stratigraphique. 

William Van Andringa, Pompéi, Mythologie et histoire, CNRS Éditions, 2013. 




C'est à l'occasion de la présentation à Milan du tableau de Karl Brioullof, Le Dernier Jour de Pompéi en 1833, que Edward Bulwer-Lytton a eu l'idée d'écrire le roman de cette catastrophe publié en 1834. 
Voici la présentation de l'édition de 1989 par Claude Aziza :

"Le jour se changea en nuit, et la lumière en obscurité : en quantité inexprimable poussières et cendres jaillirent, inondant la terre, la mer, et l'air même, ensevelissant deux cités entières, Herculanum et Pompéi, pendant que les habitants étaient au théâtre, assis." C'est ainsi que l'historien Dion Cassius résume l'une des plus grandes catastrophes de l'Antiquité. Une promenade dans les rues des deux cités mortes permet d'imaginer, comme si le temps s'était arrêté, une foule bruyante et colorée d'hommes et de femmes affairés, des jeux et des spectacles, enfin tout ce qui faisait le bonheur de vivre dans cette Campanie du premier siècle de notre ère. Ce sont ces paysages, ces ruines ensoleillées, ces corps figés dans leur carapace de boue qui ont inspiré au Baron Edward George Bulwer-Lytton (1803-1873), romancier et homme d'état britannique, le plus célèbre roman du XIXe siècle sur le monde romain : Les Derniers Jours de Pompéi. Rien n'y manque de ce qui fait le charme des romans de feu et de passion : un héros jeune et beau, une pure héroïne, une amante jalouse, un traître aux noirs desseins. Et, menace permanente surplombant la cité, le Vésuve dont les flancs annoncent par quelques sourds grondements la catastrophe finale. Les Derniers Jours de Pompéi est le meilleur guide qui soit pour visiter la cité disparue. Et pour y rêver. 

Édition et présentation,  Le Livre de Poche, (1989).


Il s'agit ici d'une anthologie composée et présentée par Claude Aziza. C'est une promenade sur les pas d'Alexandre Dumas, de Théophile Gautier, de Wilhelm Jensen, Gérard de Nerval, Stendhal, Taine, Mme de Staël et d'autres moins connus tels que Charles de Brosses ou le poète Corbière. Conçue pour de jeunes lecteurs, cette édition est un excellent voyage littéraire dans une "Pompéi de rêve" et un formidable outil pédagogique. 





La Gradiva est une "novella" écrite par l'écrivain allemand, Wilhelm Jenssen et publiée en 1903.

En voici l'argument : Norbert Hanold, professeur d'archéologie, tombe éperdument amoureux de la représentation sur un bas-relief d'une jeune noble romaine morte il y a 2000 ans. Il est fasciné par la démarche gracieuse de la jeune femme. Il se procure un moulage du bas-relief et l'accroche dans son bureau en Allemagne. Il la contemple chaque jour et devient obsédé par le mouvement élégant de son pied. C'est ainsi qu'il la surnomme Gradiva, "celle qui marche en avant". Il lui invente une vie à Pompéi. Peu de temps après, il fait un cauchemar au cours duquel il croise Gradiva précisément le jour de la catastrophe. Il ne peut la sauver et assiste à sa mort. À son réveil, il croit apercevoir de sa fenêtre une jeune femme dont la démarche est identique à celle de Gradiva. Il décide subitement de se rendre à Pompéi et suit les déambulations d'une jeune femme, copie conforme de Gradiva. 
Je vous laisse découvrir la fin de cette histoire qui me rappelle les déambulations de Scottie suivant Madeleine dans Vertigo, d'Alfred Hitchcock (1958). 







La Gradiva doit une grande partie de sa notoriété au travail d'analyse entrepris par Sigmund Freud : 

Il s'agit du premier essai que Freud consacre à une étude d'une œuvre littéraire, et celui-ci sera suivi par d'autres consacrés aussi bien à la littérature qu'aux arts plastiques, inaugurant ce qu'on appelle aujourd'hui la psychanalyse appliquée. Avec cet ouvrage publié en 1907, Freud cherche à élargir son public, avec l'espoir d'y trouver un accueil plus favorable, en montrant qu'une œuvre littéraire comme La Gradiva confirme nombre de ses observations cliniques. Cette nouvelle se prête particulièrement bien à la démonstration, car les aventures que le héros, l'archéologue Hanold, vit à travers ses rêves et ses délires peuvent se lire comme s'il s'agissait de l'évolution d'un cas clinique tel qu'un psychanalyste pourrait l'observer chez un patient. Par ailleurs, on est frappé par l'analogie entre la démarche que poursuit Hanold tout au long du récit, et le travail d'investigation dans les strates de l'inconscient que poursuit le psychanalyste, travail souvent comparé par Freud à celui de l'archéologue. 

 Lire Freud, Jean-Michel Quinodoz, 2004.

J'en ai terminé avec ce premier opus d'une recherche consacrée à Pompéi. Je suis en train de préparer un second opus consacré à mes recherches personnelles faites de pastels et de collages. Promis, il y aura davantage d'images que de texte. 



Et une dernière image pour la route... 


John William Godward, Contemplation, 1922. 


Je tiens à remercier Jean-Pierre Dubois, au savoir encyclopédique, pour son aide précieuse.