Le geste du peintre selon Paul
Un geste souvent incertain à l'instant décisif de la création, qui peut naître du hasard et qui mène vers un territoire incertain (terra incognita).
Ma première rencontre avec Paul
C’était en mai 2014 lors d’un vernissage à la galerie
Tsadé à Nice. Il y avait du monde qui se pressait dans le petit espace, la
foule débordait même sur le trottoir. Je me souviens avoir frôlé du regard les
somptueuses sculptures de Myriam Franck et puis, soudain, je me suis senti
attiré par des formes et des couleurs, par une énergie presque magnétique. Des
personnages dansaient, des voiles surgissaient, des mains se tendaient en de
voluptueuses farandoles. Il y avait quelque chose d’éminemment romain, comme si
des fresques, enfouies depuis longtemps, revenaient à la vie. Je me souviens
avoir joué des coudes afin de m’approcher de ces tableaux à la matière subtile
et vigoureuse. Je me faufilais et je découvrais, par dessus une épaule ou entre
deux visages, des silhouettes finement dessinées qui m’invitaient au voyage. Il
n’était pas facile de s’approcher des œuvres et c’était à chaque fois comme une
petite victoire.
Je ne connaissais pas le travail de Paul, ce fut une révélation
presque mystique. Je fis quelques allers
et retours entre l’intérieur de la galerie et le trottoir, envahi par ces
images d’une beauté à la fois fugace et persistante. Une amie me dit que le
peintre de ces merveilles était présent, à deux pas de moi. Je ne savais pas
trop comment lui dire mon admiration. Il était entouré d’amis, je n’osais
interrompre leur conversation. J’avais une carte sur moi, comme toujours. Je
m’approchai et, tout en lui disant tout le bien que je pensais de son travail, je
lui glissai la carte dans la main. À ma grande surprise, il me contacta peu de
temps après…
Depuis, nous ne cessons d’échanger, de partager, de
deviser et, suprême récompense, il me dit parfois qu’il est jaloux de mon
travail ! J’y crois à moitié car Paul est d’une rare générosité. L’été
dernier, il m’a proposé d’exposer à ses côtés, un vrai cadeau de la vie.
La peinture de Paul est une invitation
à la rêverie, au voyage intérieur. J’y vois une tension entre la terre et les
airs. Des mains se tendent, les étoffes enveloppent les corps au gré d’une
danse aérienne. C’est de l’ordre de l’élévation. Par ailleurs, c’est une
peinture de l’enlacement et de la répétition. Les corps s’effleurent, se
frôlent ; les gestes sont des amorces, arrêtés en plein vol. Ce sont des
instants répétés, fragiles et toniques – jamais tout à fait les mêmes. Le
regard se promène et le cœur fait une pause entre deux battements – une
parenthèse si ténue et pourtant frémissante de vie.
C’est aussi une peinture de l’effacement.
Les visages sont ceux de la disparition – ils suggèrent une présence enfouie
dans le souvenir et par la même, ils sont formidablement présents.
Quand
a commencé l’aventure de la peinture pour toi ?
Très tôt,
presque juste après ma naissance. Et l’aventure se poursuit aujourd’hui
encore…
Quelle formation as-tu suivie?
Je ne veux
parler ici que de ma formation artistique. Bien évidemment aucune formation
académique, si c’est de celle-là dont tu veux parler, sauf que j’ai regardé
longuement, tout le temps de mon enfance (donc maintenant encore), l’œuvre des
peintres. Si je te dis que j’ai passé une grande partie de ma prime jeunesse à
Rome, aux côtés d’un grand-père traducteur effréné de Dante, cela m’évite de
citer des noms de peintres, c’est-à-dire d’établir une liste forcément
insatisfaisante malgré sa longueur. Je n’ai cessé, ma vie durant, de retourner
à Rome.
Quels
sont tes peintres préférés ? Tes références intimes ? (ceux vers qui
tu reviens inlassablement).
C’est pour
moi, le paradoxe de l’âne de Buridan… Ils sont deux mille ! Si je dis
Tiepolo et Daumier (deux
dessinateurs fulgurants, non seulement par leur maestria, mais par
l’intelligence de leur regard…), j’entends derrière moi une volée de lazzis
lancée à mon endroit. Je la mérite bien… Ce n’est pas beau la trahison et
l’ingratitude.
Te
souviens-tu de ta toute première exposition ?
Au mois
d’août 1971, au Musée du Bastion Saint André d’Antibes. Un "sans
faute" : tous les tableaux vendus… Les Trente Glorieuses !
Le pied à l’étrier…
Quelles
sont tes techniques de prédilection ?
Elles ont
toutes leur charme. Et le poids des difficultés qu’elles imposent est toujours
aussi lourd, pour chacune d’entre elles. Cela aussi fait partie de leur charme…
Tu le sais bien…
Le
dessin est-il toujours au service de la peinture ?
Et si c’était le contraire… Le dessin est le
maître absolu, la couleur enjolive : elle rend souvent plus accessible le
geste premier qui est toujours, du moins je le souhaite le dessin. Celui-ci
peut être est âpre et sec comme un concept, la couleur vient alors comme pour
expliquer… comme les scolies pour expliquer un texte abrupt… Tous les peintres
ne seront pas d’accord avec cette primauté du trait, et ils auront sans doute
des raisons, et des bonnes que j’admets malgré que je ne les fasse pas miennes.
Quel
est ton support préféré ? (toile, papier, autres ?)
Tous les
supports, pourvu qu’ils soient rigides. La souplesse d’une toile montée sur
châssis me déplait tout à fait. Je crois
que j’ai besoin de résistance à mon geste…
Quelle
importance donnes-tu au format ?
Primordiale.
J’aime les formats dits « italiens », c’est-à-dire longs et étroits.
La forme des frises. Mais je dis cela, parce que je ne sais pas faire autre
chose… La preuve, c’est que, chez les autres, j’aime tous les formats…
Quels
sont tes thèmes obsessionnels ?
Sans aucun
doute, les cortèges. Pour ce qu’ils représentent dans notre mémoire culturelle,
judéo-chrétienne et occidentale.
Quelles
sont tes couleurs préférées ?
Dans un
premier temps, j’aurais envie de te répondre les ocres, les terres. Puis, à la réflexion,
j’aime toutes les couleurs. Il en est seulement, pour moi, des plus faciles à
utiliser, le bleu et le rouge par exemple. Et d’autres moins aisées comme le
vert et le violet…
Quand
sais-tu qu’un tableau est terminé ?
« Corrigez,
corrigez sans cesse… mais pas trop ! » disait Delacroix à ses élèves
ébahis… C’est évidemment une boutade, mais avec un fond de vérité. Une œuvre
n’est jamais terminée comme peut l’être un problème de mathématique une fois la
solution trouvée et démontrée. Le coup d’arrêt est marqué par le sentiment
succulent (en médecine, ne parle-t-on pas d’une douleur succulente.. ? Il
s’agit sans doute de la même chose) d’avoir dit ce que tu voulais dire au
commencement. Un peu comme Dieu, le septième jour. C’est un sentiment diffus, peu
explicable rationnellement, mais tout à fait ressenti…
Connais-tu
le doute ?
Il est notre
compagnon fidèle et quotidien. Les artistes lui doivent tout. Et les malheureux
qui en sont dépourvus sont à placer dans une autre catégorie (cf. Michel Audiard).
L’inachevé
est-il pour toi une forme d’achèvement ?
J’ai commis
un texte (et même donné une conférence) sur le sujet : appelé pour la
circonstance, par les historiens de l’art et en toute simplicité, le « non
finito ». L’apologie du « non finito »… Avec ta permission, je me
cite : « Le “ non finito ” littéralement le non fini - qu’il faut se
garder de traduire en français par un “ non terminé ” péjoratif – donne souvent
à l’œuvre ainsi laissée une énergie, un dynamisme spécifique ». Nous avons
hérité de la Renaissance, via le Romantisme, de la culture du fragment. Les
artistes – tous, pas seulement les peintres – savent combien il est capable de représenter le tout…
Non
finito :
Expression italienne qui désigne l'état
d'inachèvement d'une œuvre d'art. Ce côté négatif de l'œuvre ne mérite
l'attention que dans la mesure où il est fortuit ou volontaire, regretté ou
apprécié par l'artiste ou par son public. Les sculptures de Michel-Ange et de
Rodin illustrent parfaitement cette notion : Michel-Ange parce qu'un grand
nombre de ses sculptures sont précisément inachevées, Rodin parce que le non finito est chez lui un moyen
conscient d'expression.
Encyclopédie Universalis
Gaston Bachelard à propos du travail du peintre
Avant l’œuvre, le
peintre, comme tout créateur, connaît la rêverie méditante, la rêverie qui
médite sur la nature des choses. Le peintre, en effet, vit de trop près la
révélation du monde par la lumière pour ne pas participer de tout son être à la
naissance sans cesse renouvelée d’un univers. Aucun art n’est plus directement
créateur, manifestement créateur, que la peinture. Pour un grand peintre,
méditant sur la puissance de son art, la couleur est une force créante. Il sait
bien que la couleur travaille la matière, qu’elle est une véritable activité de
la matière, que la couleur vit d’un constant échange de forces entre la matière
et la lumière. Aussi, par la fatalité des songes primitifs, le peintre
renouvelle les grands rêves cosmiques qui attachent l’homme aux éléments, au
feu, à l’eau, à l’air céleste, à la prodigieuse matérialité des substances
terrestres.
Le Droit de rêver, Gaston Bachelard, Presses Universitaires de
France, 1970
Paul Conte expose ses oeuvres aux côtés de mes pastels à la Galerie Demena, 4, rue Berlioz à Nice, du 16 décembre 2014 au 16 janvier 2015. Vous pouvez télécharger l'affiche ici, rubrique "events/événements".
Paul Conte expose ses oeuvres aux côtés de mes pastels à la Galerie Demena, 4, rue Berlioz à Nice, du 16 décembre 2014 au 16 janvier 2015. Vous pouvez télécharger l'affiche ici, rubrique "events/événements".
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