Eugène Fidler (1910-1990)
peintre, collagiste, aquarelliste, graveur, céramiste…
Impressions
En
ce début d’année 2017, j’ai envie de rendre hommage à un artiste qui m’est
particulièrement cher et que j’admire tendrement. C’était mon beau-père, j’ai
eu le bonheur de le connaître pendant 20 ans. En fait j’ai rencontré son œuvre
avant de faire sa connaissance - je ne parle pas de la rencontre avec sa fille
aînée, Catherine (Cathie Fidler), mais de ses tableaux. Je me souviens de l’émotion profonde que
j’ai ressentie devant le spectacle magique de ses collages. La sensualité
musicale de son art m’a touché au plus profond. La première fois que je l’ai
vu, je ne savais pas encore qu’il deviendrait mon beau-père et qu’un jour, il
me surprendrait en m'appelant « fils ». Je fus très impressionné par son élégance,
ses mains délicates, son raffinement, son humour…
C’était le premier « vrai » peintre que je côtoyais.
C’était le premier « vrai » peintre que je côtoyais.
Au
fil des années, nous avons échangé, partagé et j’aimais écouter sa voix
chantante d’où surgissait parfois un formidable éclat de rire. Il m’est même arrivé de le voir assembler ses
bouts de papier, ce qui était un privilège dont je mesurais l’importance.
Souvent, il me montrait son travail, il me parlait de ses choix, évoquait ses
difficultés et sollicitait mon avis. J’en étais médusé. Qui étais-je pour
formuler un jugement sur le travail d’un pareil artiste ? Au fond de moi-même
j’en étais flatté et ému. Il était d’une grande générosité. Lorsqu’un dessin me
plaisait ou même un collage, il m’en faisait cadeau, il nous en faisait
cadeau. Il y avait chez lui une grâce
aérienne nourrie de tourments secrets que l’on voyait affleurer dans son œuvre.
C’est ce à quoi j’étais sensible parce que cela résonnait en moi.
En
2016, j’ai vécu quelques mois intenses en sa compagnie car j’ai été chargé de
photographier les illustrations qui figurent maintenant sur le livre de Cathie
Fidler (mon épouse), intitulé, Terres Mêlées.
C’est une longue lettre à lui adressée qui suit son parcours de Balti à
Roussillon où la petite fille interroge son papa, tandis que la fille adulte, devenue écrivain, transcrit de manière apaisée la complexité d’une relation
nourrie par l’admiration qu’elle éprouve pour son père artiste.
Pour découvrir son parcours de vie
Montage JL+L, DR.
Analyses
Le roi déchu
Dessin, collection particulière, DR.
L’œil vagabonde, suit la trace bleue du dessin à la rencontre de personnages en équilibre instable. Le corps d’un géant est à terre, terrassé par une multitude de saltimbanques qui dansent autour de sa dépouille. Le géant, roi déchu, est condamné au silence, sa bouche est cousue d’une série de x. Son corps est disloqué, contorsionné, mutilé. On reconnaît des bras et des jambes d’où émergent des visages. Un lutin brandit un masque tandis que des mains griffues esquissent un ballet mystérieux. Le vainqueur au corps dénudé chevauche le géant, les bras écartés. Ses jambes de contorsionniste flottent dans les airs. Des fils perlés relient son corps à d'étranges cibles. Le géant mutilé se fait labyrinthe dans une forêt de stries. Deux personnages masculins tiennent les fils de quelques ballons invisibles et soutiennent le corps du géant de leur tête tels des atlantes. Ils sont, eux aussi, en lévitation au-dessus d'un corps féminin allongé dans les airs. Corps triangulaire, reine dont la couronne est réduite à trois éléments décoratifs. L'œil voyage et revient vers la gauche du cadre. Du flanc droit du géant émerge à la verticale un autre personnage dont les membres reposent sur un oiseau. À la hauteur du genou droit, un œil nous observe tandis qu'un sexe masculin est clairement visible. L'oiseau semble étonné d'avoir été ainsi choisi pour soutenir cette construction complexe et harmonieuse.
Les dessins d’Eugène Fidler sont une source inépuisable de ravissement et d’interrogations. Ce qui impressionne d’emblée c’est la sûreté du trait et l’équilibre de la composition dans un exercice où la spontanéité du geste semble primer sur toute réflexion de type intellectuel. Ce dessin, qui date de 1977, illustre parfaitement la quête et la démarche d’Eugène Fidler. Il s’agit d’un dessin essentiellement aérien. Le géant est terrassé, mais il ne repose sur aucune surface plane. Il appartient tout à la fois au monde de la verticalité et de l’horizontalité. Il en va de même pour la reine, en contrebas.
Les personnages secondaires sont souvent accrochés telles des baudruches à l’assaut des cieux ou bien ils reposent sur des lignes et des traits appartenant à des formes nées de la fantaisie de l’artiste. Les corps sont fragmentés et réorganisés dans une sorte de joyeuse exubérance. Le crayon semble avoir jubilé sous les doigts de l’artiste. L’oiseau appartient lui aussi au monde mercuriel, mais ici, il sert de support, de lien avec cette terre absente du cadre. Qui est ce roi déchu ? Qui est ce David dénudé ? À qui appartient ce sexe masculin ? Qui est cette reine à la piètre couronne ? Pourquoi cette apparente sérénité se lit-elle sur les visages ? La richesse de l’art d’Eugène Fidler réside dans cette série d’interrogations. C’est un artiste funambule, il se promène dans les airs avec une apparente insouciance et c’est ce qui fait le charme immédiat de son art. Pourtant, sa fantaisie n’a rien de superficiel. Il glisse sur la corde avec une facilité déconcertante, apparemment insensible au vide sous ses pieds. Il oscille entre légèreté et gravité, il aspire à l’équilibre et ne résiste pas au déséquilibre, il déstructure l’espace pour mieux en maîtriser la composition à l’intérieur du cadre qu’il s’est choisi. Les personnages qui habitent ses dessins, collages, aquarelles et autres céramiques sont des représentations fantasmées de l’artiste en quête d’une image conforme à ses multiples interrogations. Il célèbre son image sans jamais dédaigner l’autodérision. Il brandit le masque de son visage en un geste théâtral, mais il se représente en géant terrassé et mutilé, il est à la fois David et Goliath.
Le Saltimbanque
Collage, collection particulière, DR.
Il trouve dans le collage le mode d’expression le plus adapté à sa quête artistique. Ses premiers collages, réalisés dans les années 60, sont la claire illustration d’une démarche aérienne. Saltimbanques et funambules abondent, personnages fragiles aux couleurs passées. Le papier est gratté, poncé, décollé, recollé, incorporé à la couleur. Des visages surgissent, des membres se dessinent, vestiges de quelque fresque soudain révélée à la lumière. Des traces d’encre font vibrer la matière et naître le galbe d’une jambe ou l’arrondi d’un bras. Légèreté du trait et subtilité de la matière suggèrent une sensualité musicale. Musique des bruns, des ocres et des bleus que viennent rehausser des touches de rose. Le papier collé a la douceur du velouté de la peau et soudain, presque par hasard, une date, un mot, l’amorce d’un titre, la déchirure jaunie d’un article, impriment un message mystérieux au goût d’inachevé. L’artiste ne redoute pas l’inachevé, il le célèbre. La matière disparaît, le corps s’estompe, s’efface. Le mouvement se perd dans les airs et cède la place à l’émotion de la vie ainsi captée et figée en une vibration secrète et magnétique. Le collage est signé, terminé, mais il est en partance, frémissant de couleurs, de traces de mots et de mélodies silencieuses.
Fragments détournés
Collage, Collection particulière, DR.
Collages, collection particulière, DR.
Céramique, collection particulière, DR.
Bibliographie
Eugène Fidler, artiste libre, Biro Éditeur, 2010.
Atelier Fidler
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EUGÈNE FIDLER - Terres Mêlées, Cathie Fidler, Éditions Ovadia, Nice, 2016.
Présentation de l'éditeur
En adoptant la forme épistolaire, et au fil d'un récit illustré de documents visuels inédits, Cathie Fidler révèle des facettes méconnues du parcours de son père Eugène Fidler, peintre et céramiste, dont la vie a été riche de créations, de migrations, et de rencontres exceptionnelles: il a côtoyé Romain Gary, Samuel Beckett, Pablo Picasso, Jean Cocteau, Roger Capron, Lucien Clergue et Gilbert Portanier, pour n'en citer que quelques-uns.
Avec humour et lucidité, Cathie Fidler décrit une relation père-fille qui fut souvent empreinte de silences et de non-dits. De chapitre en chapitre, cette biographie en miroir - et à tiroirs - en devient aussi chatoyante que les terres mêlées dont leur famille est issue.
Cathie Fidler à la BMVR Louis Nucéra, Nice, novembre 2016
Le regard "poëtique" de Daniel Schmitt, son ami
Tout habillés de dérision
Alors qu'ils sont nés du tragique
Trois petits tours tes êtres font
Pour cacher ton âme pudique
On les dirait à une fête
De nobles déchus qui se passe
Si mal qu'ils se font des grimaces
Afin d'oublier leur défaite
Ils se dispersent dans le vague
Un vague à couper au couteau
Afin d'échapper à la dague
De révélateurs trop brutaux
Daniel Schmitt, décembre 1971.
Empreintes
Assembleur de bouts de papiers, magicien de l'aquarelle, pétrisseur de terre, Eugène Fidler fait partie de mon monde et un peu du vôtre, je l'espère désormais…
Fragments, céramiques, JL+L, DR.
Textes et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky, 2017
Remerciements chaleureux à l'Atelier Fidler
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