UTILE À SAVOIR


Ce blog est alimenté par Jacques Lefebvre-Linetzky. Commentaires et retours bienvenus.


vendredi 12 mai 2017

BIBLIOTHÈQUES IMAGINAIRES






Rayonnages chez un bouquiniste
©Jacques Lefebvre - Linetzky

Rêveur de livres

Je suis un rêveur de livres. Souvent, je laisse mon regard vagabonder sur les étagères de ma bibliothèque. Mes livres m’accompagnent depuis longtemps - depuis toujours, il me semble. Ils ont le parfum du passé, ils sont les senteurs de ma jeunesse. Certains sont bien calés, d’autres sont un peu de guingois. Je les regarde et je rêve. Combien d’heures passées, combien de lectures avides ? J’aimerais relire certains, mais d’autres livres tapent à la porte et il m’est impossible de leur refuser l’entrée… La plupart sont en anglais, j’ai enseigné cette langue avec passion. Récemment, j’ai commencé à faire le tri, à faire le vide. Ils sont partis vers des contrées lointaines vivre une nouvelle vie et c’est bien ainsi. Il en reste suffisamment. Je les observe et il m’arrive souvent de me demander quel sera le dernier, le tout dernier que je lirai. Impossible de le savoir, bien sûr. Je ne me souviens plus du tout premier livre que j’ai lu, je ne me souviens plus des premiers mots que je suis parvenu à déchiffrer. On apprend à lire avant de savoir écrire.  Je ne sais pas non plus quel a été mon tout premier dessin, j’ai toujours été un grand « regardeur ». Trêve de vagabondages…



Défier Paul Conte




©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2015

L’an dernier, j’ai lancé un défi à mon ami Paul Conte. « Et si on travaillait chacun de son côté sur le même thème » lui-dis-je sans bien me rendre compte que c’était un peu présomptueux de ma part. Je lui proposai cinq entrées possibles et il retint celle du livre. Pendant six mois, nous avons peiné et pesté ; pendant six mois nous avons à peine évoqué nos difficultés à traiter le sujet. La règle que nous nous étions imposée nous interdisait de nous montrer nos travaux avant la mi-juin. Paul se demandait souvent pourquoi il avait choisi ce thème totalement éloigné de ses cortèges et autres personnages religieux. De mon côté, je ne pouvais pas lui dire quelle technique j’avais choisie, ni à quels écueils j’étais confronté et encore moins lui demander conseil. Une vraie galère, mais un vrai bonheur que de se bousculer ainsi les méninges et les pinceaux.


 Ma cuisine secrète



©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2016

J’optai pour le collage, une technique que je pratique depuis longtemps. Déchirer, découper, assembler au gré de ma fantaisie et puis faire disparaître ces éléments hétéroclites pour les lisser grâce à la peinture à l’huile ou à l’acrylique, c’est là l’essentiel de ma cuisine secrète. En février 2016, Umberto Eco s’est fait la malle pour d’autres cieux et cela m’a filé un coup de bourdon. J’ai décidé de lui rendre hommage en composant une bibliothèque imaginaire. Cherchez le, il est caché quelque part dans ce bric-à-brac...



©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2016

Le magasin pittoresque

J’avais aussi à l’esprit la boutique d’un bouquiniste à Nice où les livres se chevauchent dans un désordre appliqué et périlleux.




©Jacques Lefebvre - Linetzky

Le prévisible et l'imprévu



©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2016

Je me suis procuré des magazines spécialisés dans les livres anciens et les manuscrits afin de fabriquer des rayonnages défiant l’équilibre et la perspective. J’ai pétri la matière, j’ai arraché des pages, je me suis laissé porter par l’inattendu dont j’ai tenté ensuite de domestiquer la fébrilité. Toujours la même hésitation entre la contrainte et la liberté, entre le prévisible et l’imprévu. J'ai consulté quantité de magazines de déco afin de prélever des étagères. J'ai bousculé les lignes de fuite, j'ai malmené le bel ordonnancement des livres exposés avec tant de rigueur. 

Entre rêve et mélancolie



©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2016

Je me suis heurté à de nouvelles couleurs afin de me libérer de la tyrannie du bleu. Je suis passé de l’espace restreint d’un cabinet de curiosités aux grands espaces des bibliothèques du 19e siècle. Je les ai transformées sans chercher à obtenir une vision réaliste. Ce qui m’intéresse relève le plus souvent du rêve et de la mélancolie. J’aime que le regard se perde.



©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2015

Le grand jour

Et puis le grand jour est arrivé et il m’a fallu affronter le talent de Paul. Il avait également opté pour le collage, mais son approche était totalement différente. Paul est un grand maître de l’inachevé, un magicien des couleurs, un sculpteur de rêves. C’était éblouissant. La peinture de Paul me fait du bien, elle stimule mon imagination et apaise mes propres inquiétudes. Ce que je trouvais particulièrement intéressant dans son travail, c’est qu’il parvenait à être différent tout en conservant la spécificité de son art.



© Paul Conte, 2016

Nous nous sommes amusés à mettre en scène nos tentatives, à comparer nos approches, à nous congratuler mutuellement. L’essentiel était dans l’échange et le partage. Ce fut une belle aventure. Je ne suis pas certain que nous tenterons à nouveau de confronter nos regards. Il y a une magie de la « première fois » qu’il ne faut pas songer à réitérer. 



© Paul Conte, 2016

Lecture et rêverie selon Gaston Bachelard



© Paul Conte, 2016

" Si tant de nos contemporains semblent incapables de goûter la vraie poésie et l'art moderne, c'est essentiellement parce qu'ils ne savent pas s'émerveiller et admirer, c'est parce qu'ils s'en tiennent à une conception intellectuelle, cartésienne et figurative de la poésie et de l'art. Or, il est absolument indispensable, pour qui veut vibrer et retentir à la poésie, de se débarrasser des habitudes de critique raisonnable qu'on peut avoir quand on lit un article de journal ou quand on examine un budget. Il faut avoir l'esprit libre, l'âme et l'imagination ouvertes. Il faut être prêt à devenir "le pur et simple sujet du verbe s'émerveiller". 

Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, PUF, 1968. 

L'Art de lire… 




"Omniprésent dans la peinture occidentale, le livre est comme une minuscule mise en abyme, une toute petite nature morte qui symboliserait la sagesse, la dévotion, l'érudition, la culture, l'intelligence, mais aussi la subversion, le rêve ou le fantasme. Faire entrer un livre dans un tableau c'est comme y inclure la possibilité d'un espace supplémentaire et vertigineux, un espace infini. Car peindre un livre ce n'est pas seulement représenter un contenant, une reliure de cuir, un dos avec un signet et une tranchefile, des cahiers blancs couverts de caractères, c'est aussi esquisser un contenu, imaginer une façon de lire, inviter à la lecture et à l'écriture.        C'est aussi représenter le rapport du corps au livre: la position , assise ou couchée, le jeu du regard, les gestes des mains. C'est enfin saisir l'espace et le temps suspendus de la lecture." 
De la Renaissance au XXe siècle, L'Art de lire, Artlys, 2016. 

Une avidité voluptueuse



©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2015

"J'aime contempler mes bibliothèques encombrées, pleines de noms plus ou moins familiers. Je trouve délicieux de me savoir entouré d'une sorte d'inventaire de ma vie, assorti de prévisions de mon avenir. J'aime découvrir, dans des volumes presque oubliés, des traces du lecteur que j'ai été un jour - griffonnages, tickets d'autobus, bouts de papier avec des noms et des numéros mystérieux, et parfois, sur la page de garde, une date et un lieu qui me ramènent à un certain café, à une lointaine chambre d'hôtel, à un été d'autrefois."

Alberto Manguel, Une histoire de la lecture, Actes Sud, 1998

Le site de Paul, c'est toujours ici



2 commentaires:

  1. magnifique!
    but I need English translations ;-)

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  2. Et aussi parfois ils nous étouffent. Il faut s'en débarrasser pour se libérer...livres d'examens, de concours, 'mauvais' livres, livres volés? que l'on a honte d'héberger...
    Magnifiques peintures des deux artistes...

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