Je suis un rêveur de livres. Souvent, je laisse mon regard vagabonder sur les étagères de
ma bibliothèque. Mes livres m’accompagnent depuis longtemps - depuis
toujours, il me semble. Ils ont le parfum du passé, ils sont les senteurs de ma
jeunesse. Certains sont bien calés, d’autres sont un peu de guingois. Je les
regarde et je rêve. Combien d’heures passées, combien de lectures avides ?
J’aimerais relire certains, mais d’autres livres tapent à la porte et il m’est
impossible de leur refuser l’entrée… La plupart sont en anglais, j’ai enseigné
cette langue avec passion. Récemment, j’ai commencé à faire le tri, à faire le
vide. Ils sont partis vers des contrées lointaines vivre une nouvelle vie
et c’est bien ainsi. Il en reste suffisamment. Je les observe et il m’arrive
souvent de me demander quel sera le dernier, le tout dernier que je lirai.
Impossible de le savoir, bien sûr. Je ne me souviens plus du tout premier livre que j’ai
lu, je ne me souviens plus des premiers mots que je suis parvenu à déchiffrer. On
apprend à lire avant de savoir écrire.
Je ne sais pas non plus quel a été mon tout premier dessin, j’ai
toujours été un grand « regardeur ». Trêve de vagabondages…
L’an dernier, j’ai lancé un défi à mon ami Paul Conte.
« Et si on travaillait chacun de son côté sur le même thème »
lui-dis-je sans bien me rendre compte que c’était un peu présomptueux de ma
part. Je lui proposai cinq entrées possibles et il retint celle du livre.
Pendant six mois, nous avons peiné et pesté ; pendant six mois nous avons
à peine évoqué nos difficultés à traiter le sujet. La règle que nous nous
étions imposée nous interdisait de nous montrer nos travaux avant la mi-juin.
Paul se demandait souvent pourquoi il avait choisi ce thème totalement éloigné
de ses cortèges et autres personnages religieux. De mon côté, je ne pouvais pas
lui dire quelle technique j’avais choisie, ni à quels écueils j’étais confronté
et encore moins lui demander conseil. Une vraie galère, mais un vrai bonheur
que de se bousculer ainsi les méninges et les pinceaux.
J’optai pour le collage, une technique que je pratique
depuis longtemps. Déchirer, découper, assembler au gré de ma fantaisie et puis
faire disparaître ces éléments hétéroclites pour les lisser grâce à la peinture
à l’huile ou à l’acrylique, c’est là l’essentiel de ma cuisine secrète. En
février 2016, Umberto Eco s’est fait la malle pour d’autres cieux et cela m’a filé
un coup de bourdon. J’ai décidé de lui rendre hommage en composant une
bibliothèque imaginaire. Cherchez le, il est caché quelque part dans ce bric-à-brac...
Le magasin pittoresque
J’avais aussi
à l’esprit la boutique d’un bouquiniste à Nice où les livres se chevauchent
dans un désordre appliqué et périlleux.
©Jacques Lefebvre - Linetzky
Je me suis procuré des magazines spécialisés dans les livres
anciens et les manuscrits afin de fabriquer des rayonnages défiant l’équilibre
et la perspective. J’ai pétri la matière, j’ai arraché des pages, je me suis
laissé porter par l’inattendu dont j’ai tenté ensuite de domestiquer la
fébrilité. Toujours la même hésitation entre la contrainte et la liberté, entre
le prévisible et l’imprévu. J'ai consulté quantité de magazines de déco afin de prélever des étagères. J'ai bousculé les lignes de fuite, j'ai malmené le bel ordonnancement des livres exposés avec tant de rigueur.
Entre rêve et mélancolie
©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2016
©Jacques Lefebvre - Linetzky, 2015
Et puis le grand jour est arrivé et il m’a fallu affronter
le talent de Paul. Il avait également opté pour le collage, mais son approche
était totalement différente. Paul est un grand maître de l’inachevé, un magicien
des couleurs, un sculpteur de rêves. C’était éblouissant. La peinture de Paul
me fait du bien, elle stimule mon imagination et apaise mes propres
inquiétudes. Ce que je trouvais particulièrement intéressant dans son travail,
c’est qu’il parvenait à être différent tout en conservant la spécificité de son
art.
© Paul Conte, 2016
Nous nous sommes amusés à mettre en scène nos tentatives, à
comparer nos approches, à nous congratuler mutuellement. L’essentiel était dans
l’échange et le partage. Ce fut une belle aventure. Je ne suis pas certain que nous
tenterons à nouveau de confronter nos regards. Il y a une magie de la
« première fois » qu’il ne faut pas songer à réitérer.
© Paul Conte, 2016
" Si tant de nos contemporains semblent incapables de goûter la vraie poésie et l'art moderne, c'est essentiellement parce qu'ils ne savent pas s'émerveiller et admirer, c'est parce qu'ils s'en tiennent à une conception intellectuelle, cartésienne et figurative de la poésie et de l'art. Or, il est absolument indispensable, pour qui veut vibrer et retentir à la poésie, de se débarrasser des habitudes de critique raisonnable qu'on peut avoir quand on lit un article de journal ou quand on examine un budget. Il faut avoir l'esprit libre, l'âme et l'imagination ouvertes. Il faut être prêt à devenir "le pur et simple sujet du verbe s'émerveiller".
Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, PUF, 1968.
"Omniprésent dans la peinture occidentale, le livre est comme une minuscule mise en abyme, une toute petite nature morte qui symboliserait la sagesse, la dévotion, l'érudition, la culture, l'intelligence, mais aussi la subversion, le rêve ou le fantasme. Faire entrer un livre dans un tableau c'est comme y inclure la possibilité d'un espace supplémentaire et vertigineux, un espace infini. Car peindre un livre ce n'est pas seulement représenter un contenant, une reliure de cuir, un dos avec un signet et une tranchefile, des cahiers blancs couverts de caractères, c'est aussi esquisser un contenu, imaginer une façon de lire, inviter à la lecture et à l'écriture. C'est aussi représenter le rapport du corps au livre: la position , assise ou couchée, le jeu du regard, les gestes des mains. C'est enfin saisir l'espace et le temps suspendus de la lecture."
De la Renaissance au XXe siècle, L'Art de lire, Artlys, 2016.
"J'aime contempler mes bibliothèques encombrées, pleines de noms plus ou moins familiers. Je trouve délicieux de me savoir entouré d'une sorte d'inventaire de ma vie, assorti de prévisions de mon avenir. J'aime découvrir, dans des volumes presque oubliés, des traces du lecteur que j'ai été un jour - griffonnages, tickets d'autobus, bouts de papier avec des noms et des numéros mystérieux, et parfois, sur la page de garde, une date et un lieu qui me ramènent à un certain café, à une lointaine chambre d'hôtel, à un été d'autrefois."
magnifique!
RépondreSupprimerbut I need English translations ;-)
Et aussi parfois ils nous étouffent. Il faut s'en débarrasser pour se libérer...livres d'examens, de concours, 'mauvais' livres, livres volés? que l'on a honte d'héberger...
RépondreSupprimerMagnifiques peintures des deux artistes...