L'art de la miniature dérive de l'enluminure médiévale; il lui emprunte aussi son nom, puisque le terme de miniature semble provenir de minium, couleur rouge employée dans la décoration des manuscrits. Il n'est pas à exclure, en outre, que l'origine du terme puisse être trouvée dans le mot latin minus, "plus petit", d'où dériverait miniature, peinture de petites dimensions. Au XVIIe siècle, le mot s'orthographiait mignature et Diderot y reconnaissait la même racine que mignard, délicat.
Roseline Bacou, Encyclopaedia Universalis.
Le roi David en prière
Image empruntée ici
Le minuscule, porte étroite s'il en est, ouvre le monde, Gaston Bachelard, La Poétique de l'espace, 1957.
Vous avez dit "minus"?
Me
voilà donc bien avancé. Mon intérêt pour l’extrêmement petit viendrait-il de
mon côté « minus », moi qui ne suis pas très grand ? Je me
revois enfant, dessiner de toutes petites choses, des gribouillis, des « doodles »
comme on dit en anglais. Dès que j’étais gagné par l’ennui, je dessinais en
pilote automatique.
J’aimais également dessiner des cartes géographiques. Je reconstituais les reliefs grâce à un système de hachures, complexe et coloré. Je me souviens de cette carte de la Grèce antique que j’avais mis des semaines à fignoler. L’exercice était périlleux – je travaillais avec des encres de chine de couleur, exclusivement à la plume. Le moindre dérapage pouvait tout gâcher. Il suffisait que la plume accroche, recueille une miette de papier et le tour n’était pas joué. Cette carte fut menée à bien et, désormais, elle n’existe plus que dans mon souvenir.
Carte de la Grèce antique
Image empruntée ici
J’aimais également dessiner des cartes géographiques. Je reconstituais les reliefs grâce à un système de hachures, complexe et coloré. Je me souviens de cette carte de la Grèce antique que j’avais mis des semaines à fignoler. L’exercice était périlleux – je travaillais avec des encres de chine de couleur, exclusivement à la plume. Le moindre dérapage pouvait tout gâcher. Il suffisait que la plume accroche, recueille une miette de papier et le tour n’était pas joué. Cette carte fut menée à bien et, désormais, elle n’existe plus que dans mon souvenir.
Sigmund...
J’ai
eu une longue phase maniaque – au secours Sigmund ! Mon goût pour le
minutieux m’a amené à rétrécir mon écriture. Je choisissais des plumes
extrêmement fines et j’alignais des mots et des phrases d’une écriture à peine
lisible. Mes professeurs s’arrachaient les cheveux, louaient l’intérêt de mes
devoirs et me reprochaient mon écriture. Rien n’y faisait, je persistais dans
mes égarements calligraphiques. J’ai eu une époque « penchée » et une
époque « droite » et puis, un jour, j’ai décidé d’opter pour des
plumes plus larges afin de régler le problème. Adieu Sigmund ! Enfin,
presque…
Image empruntée ici
Dessins croisés
J’ai été rattrapé par le virus du minus quelques années plus tard. En classe de philosophie au lycée Masséna, j’ai trouvé mon maître en miniature en la personne de mon copain Jacques Fassola dont le deuxième prénom était Rémi – je n’invente rien. Il était d’une intelligence brillante et excellait dans de nombreux domaines avec une facilité déconcertante. C’était à la limite du supportable pour nous autres, simples mortels, et cela lui valait quelques inimitiés dont il ne semblait pas avoir conscience. Je me retrouvai dans le cercle de ses amis, secrètement heureux de bénéficier de son aura, autant qu’il pouvait l’être de bénéficier de la mienne (!). Il collectionnait les disques de jazz et les volumes de la Pléiade, il jouait de la contrebasse et surtout, il dessinait. Il avait pris des cours de dessin et pendant des années, il avait dessiné des bouchons – des bouchons, rien que des bouchons, jusqu’à plus soif. Sa dextérité était étonnante. C’est ce qui a déclenché ma rechute. Je me suis remis à dessiner des miniatures.
Nous utilisions des stylos Rotring et passions des heures, chacun de son côté, à exécuter des compositions enchevêtrées sur du papier bristol et bien sûr, comble de la perversion, nous utilisions une loupe. À la vérité, je ne sais pas qui influençait l'autre, qui copiait l'autre, nous n'étions pas en concurrence, mais en symbiose esthétique. Le Rotring interdisait toute souplesse dans le poignet ; la main se raidissait et il était impératif de faire des pauses régulières. Il était également nécessaire de veiller à bien remplir le réservoir d’une encre spécialement conçue pour le stylo. C’était une entreprise grisante qui nous mettait hors du temps et dans un espace vaste comme le monde. C’est au gré de ces dessins minuscules que j’ai découvert John Coltrane, Thelonious Monk, Miles Davis, Erroll Garner et Sarah Vaughan, entre autres. Pour écouter Sassy, cliquez ici :
Quelques
années plus tard, Jacques s’est intéressé à la gravure et avec un copain
bricoleur, il a mis au point une machine mystérieuse qui permettait de graver
nos minuscules dessins. Il me reste un exemple qui date de 1969, me
semble-t-il.
Nos
chemins se sont séparés. Jacques s’est passionné pour Bali. Plus tard, il a
même écrit un livre, Bali, jardin des immortels, couronné par l’Académie française. De mon côté, je me suis
consacré avec enthousiasme à mes études d’anglais. Entre deux cours, je me
plongeais dans mon petit monde graphique. À ma grande honte, je dois avouer
qu’il m’arrivait de dessiner pendant les cours au lieu de prendre des notes...
© Jacques L+L
© Jacques L+L (détail)
J’ai
continué, au fil des années, à voyager dans ce monde minuscule jusqu’au jour où
j’ai eu l’impression d’être enfermé dans un système. Brutalement, j’ai laissé
de côté mes Rotring et ma loupe. Ce fut une parenthèse d’une bonne trentaine d’années.
Jacques
a continué, à temps perdu. Dans les années 1990, il s’est amusé à décorer des
chaussures de tennis avec des petits gribouillis multicolores. Il a exposé d'autres travaux à L'usine en 1996. On y reconnait bien son goût pour une sorte de fourmillement Technicolor.
Je
croyais donc en avoir terminé avec le monde du minus. Nenni point, c’est revenu en boomerang il y a une dizaine
d’années. J’ai retrouvé ma loupe, mes feuilles de papier bristol et j’ai troqué
mes Rotring contre d’efficaces stylo japonais dont l’encre sèche
instantanément. C’est ainsi que j’ai
commencé une série de colosses – des personnages monolithiques et primitifs. Le minus se faisait massif. Ne me demandez
pas ce qu’il faut en penser au point de vue psychanalytique, seul Sigmund
pourrait percer ce mystère. Un jour, je lui ferai un sort, à Sigmund, et je le
transformerai en colosse dans son bureau au numéro 19 de la Berggasse à Vienne.
© Jacques L+L
Pareille
démarche relève à la fois de l’obsessionnel et de l’accidentel car la
composition se fait au fur et à mesure que l’on progresse dans l’agencement des
formes externes et internes. La matière prend forme au gré des circonvolutions,
des creux et des lignes. La progression est lente. Il faut maintenir un rythme
mesuré et soigner le trait – tout est affaire de patience, c’est un défi de
taille.
© Jacques L+L
Le dessin devient volume, il est une sculpture en devenir.
© Jacques L+L
Ultime cadeau
Jacques
Fassola n’est plus. Il a plié bagage pour de bon à la fin de l’été dernier et
je n’ai pas eu le cœur de reprendre mes dessins minuscules. Souvent, je fouille
dans mes archives, à la recherche de nos tentatives communes et le passé
resurgit en volutes mémorielles.
© Jacques Fassola
J’ai
sous les yeux l’un de ses derniers courriers. Il m’a envoyé un tout petit
marque-page illustré de sa main. Au dos, il a écrit ces mots :
« Petit marque-page à laisser dans un livre quand il devient
lassant. » J’ai bien trop peur de le perdre pour le laisser dans un livre…
étonnant !quelle variété dans tes techniques et tes inspirations ; on en apprend décidément beaucoup plus sur toi par tes créations que par tes paroles, si mesurées et rares!
RépondreSupprimerMerci Jacques
Anne