Connaissez-vous le travail de Nushka? C'est une invitation à la rêverie, aux confins du visible...
Chaque mois, je reçois Connaissance des Arts et chaque mois, c’est le même rituel. Je commence par la fin et je feuillette à rebours en faisant des pauses ici et là, au gré de mes intérêts. Lors de ce premier passage, je sélectionne les articles que je lirai plus tard. J’aime retarder le plaisir de la découverte.
Chaque mois, je reçois Connaissance des Arts et chaque mois, c’est le même rituel. Je commence par la fin et je feuillette à rebours en faisant des pauses ici et là, au gré de mes intérêts. Lors de ce premier passage, je sélectionne les articles que je lirai plus tard. J’aime retarder le plaisir de la découverte.
Des images, des titres, des noms
défilent ainsi et se superposent en une sorte de flip book. C’est à cette
occasion que je repère les éléments qui me seront utiles par la suite. J’engrange
mentalement, je mets de côté, j’imagine des mises en scènes et des
confrontations inédites de sujets et de matières.
Vestales
Affiche Vestales, Image empruntée ici
C’est lors de l’un de ces premiers
repérages que j’ai découvert le travail de Nushka dans le numéro de septembre
2017 de Connaissance des arts
consacré aux expos de la rentrée. Une pleine page annonçait une exposition
intitulée Vestales à la Galerie
Schwab Beaubourg.
On y voit une jeune femme allongée, nue et pulpeuse à souhait, tandis que virevoltent deux colombes au premier plan. La jeune femme semble protéger l’une des deux colombes – s’agit-il d’une parade amoureuse ? La toile est d'une sensualité à fleur de peau. Vestale frémissante, elle s'offre à quelque amant ou amante situé(e) au-delà du tableau, dans ses rêves probablement car elle a fait vœu de chasteté ainsi que l'exige l'engagement des vestales.
On y voit une jeune femme allongée, nue et pulpeuse à souhait, tandis que virevoltent deux colombes au premier plan. La jeune femme semble protéger l’une des deux colombes – s’agit-il d’une parade amoureuse ? La toile est d'une sensualité à fleur de peau. Vestale frémissante, elle s'offre à quelque amant ou amante situé(e) au-delà du tableau, dans ses rêves probablement car elle a fait vœu de chasteté ainsi que l'exige l'engagement des vestales.
La technique nourrit le mystère.
Nushka choisit un mode d’expression qui se situe à la lisière du visible, où les couleurs se fondent et se répondent. La matière du visage
suggère la douceur du pastel alors qu’il s’agit de peinture à l’huile ; le regard,
perdu dans le hors champ, est toutefois habité d’une fascinante intensité ;
le corps, appuyé contre une structure à peine visible, semble être en
lévitation. La lumière est savamment travaillée en une orchestration dynamique
et équilibrée. Par petites touches elle irradie le corps de cette jeune femme
alanguie et elle accompagne le ballet amoureux des deux colombes. Le trait est
affirmé, délicat ; des traces suggèrent le mouvement et la transparence.
Quelques coulures de peinture donnent une vigueur inattendue à un détail qui
fait vibrer le tableau. On est ainsi séduit par l’ensemble et envoûté par de
subtiles interventions sur la toile : la lumière sur la pointe du sein, le bras
dans le prolongement du regard, la rondeur du ventre, le poids d’une main,
l’étoffe d’une étole.
Un nom d'artiste
Nushka est son nom d’artiste et
c’est une belle trouvaille car il secrète un mystère qui sied à sa peinture. Est-ce
un diminutif d’Anushka, venu du monde slave ou bien est-ce un prénom d’origine
Hindi ? Que ce choix reste une énigme est conforme à l’art de cette
artiste précieuse, ne cherchons pas plus avant.
Si l'on se rend sur son site, on
apprend que Nushka a fait de brillantes études dans de prestigieuses écoles
(Sciences Po et HEC) et qu’elle peint depuis plus de dix ans. On apprend
également que trois artistes ont largement contribué à son
épanouissement : le peintre américain Zawacki qui lui a enseigné l’art du trait,
Maggie Siner, peintre et professeur de peinture, qui l’a sensibilisée à
l’intensité du jeu des couleurs et l’a épaulée au fil des années et enfin, le
peintre et dessinateur d’origine tchèque, Hashpa avec qui elle a travaillé la
composition et la mise en scène du modèle.
Affiche Vestales, © Nushka, DR.
La nuque est le lieu de la
sensualité, c’est un appel au rêve, c’est un mystère qu’il faut se garder de
dévoiler. Caspar David Friedrich, Jean-Auguste-Dominique Ingres, Wilhelm
Hammershoi, Salvador Dali ont été fascinés par ces silhouettes vue de dos ou de
trois-quarts. Nushka aborde le sujet avec allégresse en jouant sur l’inachevé.
Les traces sont visibles, évidentes. Elles constituent la matière de la peau.
La couleur est posée à même la toile dont on perçoit le grain. Les ratures et
les griffures assurent le mouvement de cette prise en instantané. Le dos
s’affirme en une symphonie de roses et d’ocre jaunes ; la tête est appuyée
sur une main enfouie dans la chevelure, mais c’est vers la nuque que notre
regard se dirige. On songe à Alfred Hitchcock filmant Kim Novak alors qu’elle
contemple le portrait de Carlotta Valdès dans Vertigo – vertige du regard, vertige des cheveux, éternel fantasme…
La mise en scène du modèle au
musée
Musée des Beaux Arts I, © Nushka, DR.
Musée des Beaux Arts I, © Nushka, DR.
Nushka affectionne ces mises en
scène sophistiquées où le modèle prend la pose dans un musée. La mise en abyme
savante valorise tout à la fois la femme et l’espace muséal. L’inachevé crée
une toile de fond qui souligne la présence du modèle au premier plan. La pose
est délibérément artificielle ; le corps de la jeune femme suit la ligne
du bord inférieur du cadre en arrière-plan. Elle déborde du cadre en
surimpression, insufflant ainsi à la toile une belle énergie. Les tableaux du
musée, dont on devine à peine ce qu’ils représentent, sont autant de regards
dirigés vers nous – formes énigmatiques, cadres dorés qui viennent éclabousser
les murs d’un gris bleuté sur un fond ocre.
C’est en fait un jeu de miroirs
auquel le spectateur est convié par le peintre, personnage absent, mais en
totale maîtrise de l’organisation de la toile.
L’artiste a parfois recours au
dispositif du diptyque afin d’enrichir ses mises en scène. Ainsi, les toiles
accrochées côte à côte, dialoguent en un double effet de miroir.
À gauche, une jeune femme nue est
en arrêt devant le portrait d’un notable du 19e siècle. La
confrontation, l’échange de regards et l’emboîtement des plans plongent le
spectateur dans une insondable rêverie. C’est une immersion dans l’illusion, la
peinture se fait leurre, le spectateur hésite entre deux mondes.
À droite, le point de vue est
frontal, la composition est triangulaire. Le même modèle est face à deux
portraits représentant, l’un, un homme et l’autre, une femme – un couple du 19e
siècle traité de la même façon que précédemment où les traces et les passages
lumineux de la brosse sculptent un univers hypnotique. Le couple regarde le
modèle situé dans un entre-deux que l’on imagine méditatif. Et c’est bien là
que réside la force de cette peinture qui sollicite sans cesse notre
imaginaire. De même, le corps de la
jeune femme, effacé par endroits, impose une présence-absence où l’illusion
n’en finit plus de défier la réalité.
Puffy Lavender Sleeve, © Nushka, DR.
Une jeune femme se mire. Le
miroir redouble le cadre du tableau. Quel est l’objet du tableau ? Le modèle présent au premier plan ou son reflet
dans le miroir ? Le « réel » se dérobe à notre regard – nous
voyons une silhouette, l’ombre d’un visage, la cascade d’une chevelure. Les
avant-bras appuyés sur le manteau d’une cheminée, la jeune femme prend une pose
que seul le reflet nous permet d’interpréter et encore, sans être certain du
bien-fondé de notre interprétation. L’illusion serait donc plus crédible que le
monde réel, mais la peinture est illusion, « recréation » du réel. Le
miroir de l’illusion n’est que réflexion d’un monde également illusoire. Le
personnage reflété semble être aux prises avec un accès d’angoisse – les traits
du visage, brossés et triturés, façon Francis Bacon, concentrent toute
l’énergie du tableau. Mais peut-être ne s’agit-il que d’une sublime exaltation.
Tableau habité d’une « inquiétante étrangeté » ou image orgasmique,
tout est dans le regard du spectateur ou de la spectatrice…
Musée des Beaux Arts III, © Nushka, DR.
L’escalier est une construction
spatiale qu’affectionnent particulièrement les peintres, les photographes, les
dessinateurs, les cinéastes et, bien sûr, les architectes. Un escalier repose
sur le sol, il est donc ancré dans l’horizontalité, mais il a pour fonction de
s’arrimer à la verticalité. Il est donc à la fois fixe et dynamique. Par
ailleurs, c’est une figure éminemment théâtrale qui dessine et structure
l’espace.
La jeune femme, dépourvue de tout
vêtement, gravit les marches, tout en tenant à la main une longue traîne
indigo. Qui est le personnage principal de cette toile ? La jeune femme,
la traîne ou l’escalier ? En fait, ils forment un triptyque indissociable
où s’affrontent des couples d’opposition : solidité de la pierre et
mouvement souple de l’étoffe, parcours défini dont l’issue nous est dissimulée,
flou et netteté, arrêt sur image et image-mouvement. Cet escalier mène vers un
lointain inaccessible dont on ne sait pas ce dont il est fait. Dans le cas
présent, une belle lumière irradie le mur, c’est de bon augure. On peut
imaginer que le personnage se dirige vers un lieu où « tout est calme et
volupté ». C’est une image en majesté où l’inachevé fait silence – il
invite à la méditation et par là-même, il s’installe dans notre inconscient, il
nous murmure des choses à nous seuls audibles. J’aime ces traces, ces traits,
ces biffures du temps suspendu.
Nushka affectionne ces images d’ascension ;
elle a d’ailleurs consacré une exposition aux « ailes » qu’elle a
intitulée, « Wings » - hommage aux anges, à l' Ariel de Shakespeare, aux
mondes éthérés…
Affiche "Wings", Image empruntée ici
« Le silence ne se voit pas,
et cependant il est manifestement là : il s’étend tout au loin et
cependant il est près de vous, si près que vous le sentez comme votre propre corps. »
Max Picard, Le Monde du silence, Paris, PUF, 1954, p.4.
« Une aile d’oiseau, cela ne
pèse guère. Un souffle du printemps, cela ne fait pas de bruit. Ce silence que
l’homme à la fois aménage et recherche est un silence déjà habité… Plus le
silence s’approfondit, plus nous découvrons de nouveaux secrets dans cette
infime profondeur ; au fin fond du silence nous percevons un « murmure
immense » plus silencieux encore que le silence lui-même. Dans le silence
humain reconquis sur la parole de l’homme ou sur les bruits de l’homme, on
perçoit encore un écho lointain de cette parole et de ces bruits ; toute
la différence entre le silence humain et le silence éternel tient à ce souvenir… »
Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé, Gallimard,
1978, p.188.
« Toute confrontation avec
un miroir fait vivre une expérience simultanée d’illusion et de déception.
C’est sans doute la spécificité de cet objet que de combiner le leurre d’un
espace dédoublé et sa négation rationnelle. La raison finit donc par l’emporter
sur l’illusion puisque le reflet de l’espace que j’occupe réellement est
impénétrable. Je ne verrai jamais, depuis l’espace reflété, ma propre nuque.
C’est cette utopie que figura René Magritte dans le tableau bien nommé La Reproduction interdite (1937). Le
reflet du monde dans un miroir est absolument exact mais il exclut la multitude
infinie des points de vue sauf à … y entrer. Tous les dangers guettent celui
qui oublie ou ignore cette aberration. »
Dominique Païni, L’attrait des miroirs, Yellow Now, 2017,
pp. 9 & 10.
« Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne
détermine pas une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images, il
n’y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d’une perception, mémoire
familière, habitude des couleurs et des formes. Le vocable fondamental qui
correspond à l’imagination, ce n’est pas image,
c’est imaginaire. La valeur d’une
image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire. Grâce à l’imaginaire, l’image est essentiellement ouverte, évasive.
Gaston Bachelard, L’air et les songes, Librairie José
Corti, 1943, p.7.
Musée des Beaux Arts III, © Nushka, DR.
Musée des Beaux Arts III, © Nushka, DR.
Le site de Nushka, c'est ici
Je tiens à remercier Nushka d'avoir mis à ma disposition les images figurant sur ce blog.
Je tiens à remercier Nushka d'avoir mis à ma disposition les images figurant sur ce blog.
Merci pour cette invitation à la rêverie. Ta présentation m'aurait donné envie de voir l'expo. et découvrir cette artiste que je ne connaissais pas.
RépondreSupprimerLiliane
En ce monde de barbares, il est rassurant de voir que tendresse et douceur n'ont pas disparu.
RépondreSupprimerMerci à Jacques et à Nushka.
C'est superbe pour l'une, et formidablement bien dit pour l'autre...
RépondreSupprimerUn régal complet Merci à vous deux.
P.C