© Franklin Bowles Galleries
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Gottfried Salzmann est un peintre qui m’accompagne depuis longtemps. Je serais presque tenté de dire depuis toujours tant sa vision du monde convient à ma sensibilité. Souvent, je puise dans les ouvrages de ma bibliothèque pour admirer ses œuvres. Il côtoie les livres consacrés à Turner. J’ai parfois l’impression qu’ils se disent des choses, ces deux maîtres de l’aquarelle, qu’ils chuchotent des secrets, bien assis sur leurs rayonnages. Je ne saisis pas ce qu’ils se disent – ils sont dans un monde que je ne peux qu’admirer.
Gottfried
Salzmann est né en 1943 en Autriche, près de Salzbourg. Il a tout d’abord suivi
les cours de l’Akademie der Bildenden
Künste de Vienne aux débuts des années soixante. Puis, en 1965, il s’est
inscrit à l’École Nationale Supérieure
des Beaux-Arts de Paris. Il y a rencontré sa future épouse, Nicole Bottet,
également artiste et somptueuse collagiste. Il a fondé une famille et s’est
fixé en France, à Paris et en Normandie. C’est à Linz et à Vienne, en Autriche,
qu’il expose ses œuvres pour la première fois en 1968. Depuis, il expose
partout dans le monde. Il a réalisé sa toute première aquarelle à l’âge de
quinze ans.
© Gottfried Salzmann - Franklin Bowles Galleries
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L’eau porte à
la rêverie, l’eau est un miroir aux transparences subtiles. Ce miroir nous
renvoie un monde irisé de couleurs qui se superposent au gré du vagabondage de
nos yeux mi-clos. L’eau est reflet – c’est le reflet du monde et celui de notre
propre image. Ce reflet est en même temps une révélation et un mystère
insondable car l’eau est surface et profondeur.
Le monde de
l’eau appartient à l’aquarelliste, c’est une évidence souvent relevée. Et
pourtant, l’aquarelliste ne maîtrise jamais complètement le cours des choses
tant l’eau sait ménager ses effets et s’échapper à la pointe du petit gris. La
technique permet d’éviter certains écueils, mais ce qui distingue l’aquarelliste
d’exception, c’est sa capacité à tirer avantage de l’accident de lumière
inondée de pigments.
Gottfried
Salzmann est de ces magiciens au pouvoir mystérieux nourri d’une technique
achevée et variée. En 2000, il a publié un ouvrage fondamental publié chez
Callwey et intitulé : Aquarelle,
paysages et villes, de l’idée initiale à l’aquarelle pure. Dans ce livre richement illustré, le peintre
aborde les aspects techniques en trois chapitres fondamentaux : les
couleurs, le papier et les pinceaux. Au regard de chaque illustration, le
peintre propose un commentaire, une impression et parfois une citation. On le
voit dans son atelier tandis qu’il procède à la phase essentielle de son
travail de préparation, le collage du papier. C’est émouvant et fascinant de
découvrir ainsi un secret de fabrication si fondamental :
« Pour
préserver les franges du papier, je préfère coller l’envers de la feuille,
enduit de blanc d’œuf, sur un panneau de contreplaqué. Puis, avec un chiffon,
je lisse la feuille en allant de l’intérieur du papier vers les bords
extérieurs, afin de chasser d’éventuelles bulles d’air et obtenir une bonne
fixation. On peut peindre immédiatement une feuille préparée de la sorte, ou
bien attendre aussi longtemps qu’on le souhaite.
Il est possible
de travailler pendant des heures sur un papier ayant subi une telle
préparation, puis de le laisser sécher avant de reprendre plus tard la
peinture. Le papier reste bien plat et ne gondole pas. »
Aquarelle, paysages et villes, de l’idée
initiale à l’aquarelle pure, Gottfried
Salzmann, Callwey, 2000, p. 19.
Gottfried Salzmann
vénère le papier de qualité qu’il manipule avec précaution afin d’éviter toute
pliure intempestive. Il voue une prédilection pour la marque Whatman, désormais
introuvable et jadis utilisée par Turner. Il choisit désormais des papiers plutôt
légers – la légèreté sied au monde de l’eau. Il rend d’ailleurs souvent hommage
à Turner dont il a eu le privilège de tenir entre ses mains des aquarelles
mises à sa disposition par la National Gallery dans les années 60 – rencontre
inoubliable pour le tout jeune peintre qu’il était alors.
Joseph Mallord William Turner, The Blue Rigi, Sunrise, 1842
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L’aquarelliste
est un peintre vagabond, un voyageur. Turner, encore lui, était un marcheur
infatigable dont les carnets de voyage étaient des instantanés, des images
qu’il reprenait à sa guise dans son studio. J’imagine Turner cheminer de nos
jours, son téléphone portable à la main en guise de carnet de croquis.
Gottfried Salzmann sillonne le monde de New-York à Tokyo, il arpente la France et l'Europe et emmagasine des
images qu’il reprend dans son atelier :
« Ce qui
importe, c’est l’endroit où l’on peint, si l’on travaille à l’intérieur ou en
plein air, par temps humide ou au soleil. Tous ces facteurs contribuent au
charme de l’aquarelle. Il faut s’accommoder du temps qu’il fait et même savoir
en tirer parti. Circonstances agréables ou désagréables, incidents fortuits,
etc… sont toujours au rendez-vous. Aucune autre technique de peinture n’est à
même de réserver autant de surprises.
Ce qui est
agréable, c’est de travailler en pleine nature. Depuis quelque temps, je
commence beaucoup d’aquarelles à l’extérieur et en achève la plupart à
l’atelier. »
Aquarelle, paysages et villes, de l’idée
initiale à l’aquarelle pure, Gottfried
Salzmann, Callwey, 2000, p. 23.
Gottfried
Salzmann peint des paysages, des arbres et des villes. Vous chercherez en vain
une silhouette humaine. Cela ne veut pas dire, loin de là, que le monde du
peintre est déshumanisé. L’émotion qu’il suscite, le regard qu’il porte sur la
nature et le monde qui l’entoure, sont pétris d’humanité. Il voit, il ressent,
il transpose, il recrée, il compose, il déforme, il révèle, il dissimule, il
cadre, il décadre et finalement, il offre en partage une vision aussi réelle
qu’abstraite, aussi abstraite que réelle. Tout cela nous plonge dans une
rêverie qui nous pénètre et nous accompagne. Les images de Gottfried Salzmann
s’imprègnent en nous, s’impriment dans notre sensibilité, s’inscrivent en
strates dans la matière de nos souvenirs et embellissent notre vie. On ne se
lasse pas de voir et revoir ces champs de colza, ces falaises crayeuses, ces
routes sablonneuses et ces rivières qui traversent la page à vol d’oiseau. La
fascination ne connaît pas la satiété – on revient toujours rêver devant ces
merveilles de fluidité et de rigueur confondues.
© Gottfried Salzmann - Galerie 48
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Peintre des
villes
© Gottfried Salzmann, détail
Thalia, 2006
Thalia, 2006
Gottfried
Salzmann peint la ville. Il a peint New-York, Paris, Tokyo, Arles, Nîmes,
Rouen, Hambourg et tant d’autres villes. Peintre-poète, architecte aérien,
photographe de l’imaginaire, il orchestre des symphonies de couleurs qui se
diluent dans une géométrie savante. Les verticales et les horizontales dansent
sur le papier, le peintre semble être en apesanteur. Ainsi, le spectateur
promène son regard, se rapproche de l’image pour observer un détail tandis
qu’il embrasse un ensemble. Les parois vitrées sont des tesselles, les
structures d’acier rythment une géographie d’espaces recomposés. Il affectionne
des plongées vertigineuses comme s’il succombait à l’appel du vide. Il est
aussi un passant dont le regard saisit les signes d’une poésie dissimulée dans
les anfractuosités des murs et dans les déchirures d’affiches publicitaires
destinées au rebut. Subsistent des traces, des slogans épars, des visages
lacérés, des vestiges de graffitis. Souvent le monde d’en haut fait écho au
monde d’en bas en un contraste saisissant.
Les aquarelles
qu’il a consacrées à Ground Zero sont
d’une densité exceptionnelle, d’une beauté secrète et douloureuse car le
peintre a une relation tout à fait particulière avec cette mégalopole à
l’énergie dévorante.
© Gottfried Salzmann - Franklin Bowles Galleries
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Pascal
Bonnafoux signale un point essentiel du travail de Gottfried Salzmann :
« Il n’y a
pas que sur le plan de la perspective visuelle que le monde de Salzmann est
ouvert aux idées extrêmes, il l’est également sur le plan temporel. Quand, d’un
côté, il sublime l’image de la mégapole en un fantasme utopique, de l’autre, il
accompagne cette majestueuse verticalité de signes de décrépitude morbides et
la projette pour ainsi dire dans une vision archéologique imaginaire. Des cubes
de béton et de verre figés en blocs de glace peuvent se transformer en une
forêt de squelettes cassants d’entre lesquels s’élèvent des vapeurs
antédiluviennes. Si l’on regarde bien les travaux de Salzmann, on constate que
presque tous possèdent des métaphores du déclin. Qui donc mieux que lui pouvait
peindre l’affligeant spectacle de Ground Zero, tableau qui ne devait surtout
pas manquer à son inventaire new-yorkais. »
Gottfried
Salzmann, Pascal Bonnafoux, Nikolaus Schaffer, Thalia Édition,
2006, p.31.
Les façades des
immeubles sont autant de miroirs livrés au regard éperdu du spectateur. Ces
miroirs sont à la fois des fenêtres et des écrans, des réflecteurs de lumière
et des récepteurs d’images. Ils proposent une vision identique et singulièrement
différente du monde. C’est cette instabilité ontologique qui donne à la réalité
représentée par Gottfried Salzmann une dimension onirique. Le miroir est
multiple, polymorphe pour qui sait le repérer au détour du chemin. Gottfried
Salzmann capte les reflets sur les carrosseries des automobiles après une
averse. Ces miroirs accidentels déforment, modifient, irisent et démultiplient ses
visions urbaines dont certaines font songer aux figures molles chères aux
surréalistes. L’identique devient totalement différent dans sa forme, mais la
couleur subsiste et l'ensemble contribue ainsi à suggérer une impression d’instabilité.
Gottfried
Salzmann aime se jouer des transparences. Ainsi, par mauvais temps, réfugié
dans sa voiture à l’arrêt, il peint ce qu’il voit à travers le pare-brise
balayé par le va et vient des essuie-glaces. Le pare-brise devient alors un
miroir à la fausse transparence ruisselant de couleurs à demi effacées. La
structure du pare-brise ainsi que les essuie-glaces restent visibles de sorte
que le réel laisse sa marque. L’œuvre qui surgit alors semble immuable,
inaltérable et d’une troublante fragilité.
Du 14 septembre
au 31 octobre 2019 à la Galerie 48 à Lyon, Gottfried Salzmann présente une
série de peintures-collages où la matière de lambeaux déchirés dessine des
ombres qui sont autant de vagues à la surface de l’eau. Il présente son travail
en écho à celui de Teruhisa Yamanobe dont les paysages nébuleux sont également
un appel au rêve.
Voyager avec
Gottfried Salzmann
Pour prolonger
votre voyage, vous pouvez vous promener sur les sites suivants :
Galerie Arcturus, 65, rue de Seine, 75006, Paris
Cliquez sur ce lien
Galerie Joël Knafo, 182, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
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Galerie Joël Knafo, 182, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
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Franklin Bowles Galleries, New York 2015 Exhibition
Catalog
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Je vous
recommande le film de François Xavier (une production ISP Production), Gottfried Salzmann, le peintre de l’eau,
2008, en deux parties :
Une famille d'artistes
Pour découvrir le travail de Nicole Bottet, l'épouse du peintre, cliquez sur ce lien.
Pour découvrir le travail de Nieves Salzmann, la fille des deux peintres, cliquez sur ce lien.
Bibliographie
Aquarelle, paysages et villes, de l’idée initiale à l’aquarelle pure, Gottfried Salzmann, Callwey, 2000.
Gottfried Salzmann, Pascal Bonnafoux & Nikolaus Schaffer, Thalia Édition, 2006.
Salzmann, Spiegelungen, Otto Brechia, Verlag Galerie Welz, Salzburg, 1998.
Salzmann, Wasser - Spiegelungen, Nicole Bottet, Verlag Galerie Welz Salzburg, 1993.
Remerciements
Gottfried
Salzmann, pour l’accueil chaleureux qu’il a réservé à ce projet.
Mari Katagiri,
directrice de la galerie 48, pour l’autorisation
d’utiliser les visuels figurant sur son site.
Textes en
regard de l’œuvre de Gottfried Salzmann
« Quand
nous aurons compris que toute combinaison des éléments matériels est, pour l’inconscient,
un mariage, nous pourrons rendre compte du caractère presque toujours féminin attribué à l’eau par l’imagination
naïve et par l’imagination poétique. Nous verrons aussi la profonde maternité des eaux. L’eau gonfle les germes
et fait jaillir les sources. L’eau est une matière qu’on voit partout naître et
croître. La source est une naissance irrésistible, une naissance continue. De si grandes images marquent
à jamais l’inconscient qui les aime. Elles suscitent des rêveries sans fin. (…)
Une imagination
qui s’attache entièrement à une matière particulière est facilement
valorisante. L’eau est l’objet d’une des plus grandes valorisations de la
pensée humaine : la valorisation de la pureté. Que serait l’idée de pureté
sans l’image d’une eau limpide et claire, sans ce beau pléonasme qui nous parle
d’une eau pure ? L’eau accueille
toutes les images de la pureté. »
Gaston
Bachelard, L’Eau et les Rêves,
Librairie José Corti, 1973 (réédition), p. 20.
« Celui
qui se penche par-dessus le bord d’une barque lente, sur le sein d’une eau
tranquille, se plaisant aux découvertes que fait son œil au fond des eaux, voit
mille choses belles – des herbes, des poissons, des fleurs, des grottes, des
galets, des racines d’arbres, — et en imagine plus encore. Mais il est souvent
perplexe et ne peut pas toujours séparer l’ombre de la substance, distinguer
les rocs et le ciel, les monts et les nuages, reflétés dans les profondeurs du flot
clair, des choses qui habitent là et y ont leur vraie demeure. Tantôt il est
traversé par le reflet de sa propre image, tantôt par un rayon de soleil, et
par les ondulations venues il ne sait d’où, obstacles qui ajoutent encore à la
douceur de sa tâche. »
William Wordsworth,
Le Prélude, (1798-1850), trad. E.
Legouis, cité par Gaston Bachelard dans L’Eau
et les Rêves, Librairie José Corti, 1973 (réédition), pp. 73 & 74.
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